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Bash Back! : « Inédits »

Discussion dans 'Féminisme et luttes d'émancipations LGBTQ' créé par anarkia ou l'un de ses multicomptes, 6 Novembre 2018.

  1. anarkia ou l'un de ses multicomptes
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    anarkia ou l'un de ses multicomptes Membre du forum Expulsé par vote Membre actif

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    Août 2018
    United States
    Quelques textes du réseau anarchoqueer nord-américain Bash Back!, de journaux qui en étaient proches et des entretiens ne figurant pas dans la brochure Queer Ultraviolence. Ils sont issus du recueil Vers la plus queer des insurrections publié par Libertalia. L'introduction, les communiqués sur les actions et le long texte « Notes préliminaires sur les modes de reproduction » ne sont pas reproduits. La traduction des écrits de Bash Back! demeure incomplète à ce jour. Au menu : réflexions théoriques et politiques, humour, rage, sexe et sexualités, violence, provocations...


    - ENTRETIEN AVEC UN-E AUTEUR-E, PAR LES TRADUCTEUR-ICE-S
    - SEXE PUBLIC ET GUERRE SOCIALE
    - DESTRUCTION, OUI, SÉPARATION, NON : QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'ÉGLISE ET L'ÉTAT
    - RÉFLEXIONS SUR LA DISSOLUTION DE BASH BACK!
    - COMMENT DEVENIR BEAUTÉ ?
    - ENTRETIEN AVEC NOT YR CISTER PRESS (NYCP)
    - JE NE RIPOSTE PAS JE TIRE EN PREMIER
    - COMMENT FAIRE, DANS TON CUL ?



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    ENTRETIEN AVEC UN-E AUTEUR-E, PAR LES TRADUCTEUR-ICE-S

    AVRIL 2016


    Que sont devenu-e-s les auteur-e-s (individu-e-s ou groupes) des différents textes depuis la publication du livre ?

    Il est difficile de répondre à cette question. Ils/elles ont pris des chemins tellement differents. Beaucoup ont déménagé aux quatre coins des Etats-Unis, certain-e-s participent à de nouveaux projets éditoriaux, comme « Baedan » par exemple. Certain-e-s se sont toumé-e-s vers d'autres expériences et ont rejoint d'autres milieux théoriques : féminisme matérialiste, afro-pessimisme, nihilisme de genre, luttes décoloniales. Certain-e-s utilisent leur temps pour soutenir des prisonnierère-s queers et anarchistes. Il y a eu un nombre incalculable d'émeutes, et plein d'anarchistes queers y ont pris part. Certain-e-s ont suivi de nouveaux chemins spirituels, pratiqué la sorcellerie, recherché leurs ancêtres. D'autres se sont lancé-e-s dans des projets historiques, de recherche généalogique des révoltes queer. D'autres se sont tourné-e-s vers une pratique intensive des arts martiaux ou de la poésie. Beaucoup se sont perdu-e-s de vue. Pour d'autres, nous nous voyons encore lors des moments qui comptent.

    Que penses-tu de l'insurrectionnalisme queer en Europe que tu as découvert lors de tes voyages ? Quelles différences et quels liens vois-tu entre Bash Back! et le contexte européen ?

    J'ai observé trois différences majeures :

    1. Il me semble que les anarchistes queers en Europe ont une tendance davantage infrastructurelle. Durant l'intégralité de notre voyage, nous avons été hébérgé-e-s dans des squats tenus par des queers. Les gens faisaient aussi partie d'un réseau bien établi, organisaient des festivals et prenaient grand soin les un-e-s des autres. Ce n'est pas le cas aux Etats-Unis, où il n'y a que très peu d'espaces qui sont à la fois queers et insurrectionnels (mis à part quelques exceptions notables).

    2. Il était particulièrement important pour nous de nous dissocier des courants politiques identitaires plus majoritaires ou normatifs qui dominent les discussions sur la race, le genre et la sexualité aux Etats-Unis. Nous pensons notamment au discours associatif[1] et universitaire. Comme nous devions batailler constamment, nous avons adopté le parti de formuler nos critiques de ces discours de manière incendiaire et hyperbolique, surtout parce qu'ils sont principalement propagés par l'État et approuvent totalement son rôle. Le contexte est bien évidemment très différent en Europe, où les États tendent à rejeter tout discours sur l'identité, à l'exception des identités nationales. Cela déteint sur les milieux radicaux et anarchistes que nous avons rencontrés, dans lesquels les politiques identitaires qui dominent les milieux politisés aux États-Unis depuis une décennie semblaient complètement absents. Alors que chez nous nous essayions de dépasser la dimension identitaire comme base du militantisme, nos camarades queers en Europe luttaient pour obtenir des espaces de parole sur les identités.

    3. Nos interlocuteurice-s en Europe semblaient souvent interloqué-e-s ou troublé-e-s par deux éléments intimement liés : l'importance de la race et la réalité de la violence dans notre récit. On dirait que les contextes de race, de violence de rue et de la racialisation de la violence aux mains de l'État sont très différents en Europe et aux États-Unis.

    Quelle était l'influence de Tiqqun sur Bash Back! ? Y a-t-il d'autres influences européennes à citer ?

    L'insurrection qui vient était un sujet sensible chez les anarchistes aux États-Unis dans la deuxième moitié des années d'existence de Bash Back!. Pour être honnête, je dois dire que quelques membres de Bash Back! étaient très influencé-e-s par Tiqqun et que d'autres les méprisaient. L'usage d'un jargon « tiqqunien » chez Bash Back! est souvent une manière « camp[2] » de se moquer ou de s'approprier leur langage, mais je ne dirais pas que Bash Back! leur soit beaucoup redevable théoriquement. L'anarchisme insurrectionnaliste d'Alfredo Bonanno, le féminisme italien des années 1970, les écrits de Jean Genet et les idées du FHAR[3] sont autant de références européennes qui ont été beaucoup plus importantes.

    Pourquoi les auteur-e-s ont-ielles choisi de ne pas citer leurs références et sources d'inspiration ?

    Plusieurs raisons l'expliquent (ceci dit, il faut se souvenir que les textes ont été écrits par des personnes différentes et que je ne peux pas parler au nom de tous-tes) :

    1. la volonté d'envoyer chier les universitaires ;
    2. l'humour/ le camp ;
    3. une volonté de s'approprier le langage utilisé par les hétéros ;
    4. une volonté de se moquer des anarchistes hétéros ;
    5. plus sérieusement aussi, le principe d'anonymat.


    Notes

    1. Il s'agit ici d'une attaque portée aux « Non-profit », organisations à but social ou militant qui ont largement professionnalisé le militantisme aux Etats-Unis.

    2. Attitude queer, définie notamment à partir des spectacles transformistes, qui mêle humour et théâtralité, fondée sur l'incongruité, l'autodérision, le décalé face au tragique de certaines situations.

    3. Front homosexuel d'action révolutionnaire. Prédécesseur des Groupes de libération homosexuelle (GLH), le FHAR, né en 1971 et composé de gouines et de pédés, est l'auteur du Rapport contre la normalité (1971) et de nombreuses actions.



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    SEXE PUBLIC ET GUERRE SOCIALE

    13 AOÛT 2OO9
    ANONYME


    [Ce texte est issu du livre Politics is Not a Banana; What Are You Doing After the Orgy or the Insurrection or Whatever ? publié par The Institute for Experimental Freedom. Il s'agit d'une exploration théorique du potentiel confrontationnel du sexe public. Il a été écrit au moment ou Bash Back! organisait des occupations sous forme de sexe public et en public, et d'autres actions pour subvertir l'espace public.]


    Les quais tracent le contour de la métropole, en pénétrant dans le port. En se rapprochant, on voit se fondre les uns dans les autres des dizaines de corps, créant un circuit de plaisir calqué sur les conduits du capital, depuis abandonnés. Chaque nuit et en tous lieux, des exosquelettes postindustriels sont éventrés, des bâtiments sont squattés pour des nuits d'orgie précaire. Un parking tout entier de semi-remorques devient un dédale de cavernes ; dans l'obscurité de chaque camion, une éruption cacophonique de contacts, poussées et jouissances anonymes. Des espaces à l'abandon comme zones de jeux pour corps en devenir. Lancer un regard dans un parc ou une rame de métro pour un rencard de baise entre midi et deux, dans une ruelle ou une cage d'escalier. Un geste de rencontre potentielle.

    Certain-es considèrent cette période de sexualité publique, entre les émeutes de Stonewall et l'offensive du sida, comme la plus sexuellement libérée de l'histoire. Nous la lisons plutôt comme un moment de résistance au contrôle social ou un déchaînement de puissance pris en étau par des spectres du biopouvoir. Mais surtout, nous voyons en cela une ascendance subversive tâchée de sueur dont nous avons, ô combien à juste titre, hérité.

    Nous voyons l'espace public comme le domaine de la métropole, l'espace où le contrôle social est le plus profond et amplifié. Nous nommons biopouvoir la force qui régit non seulement nos corps, mais aussi l'espace entre nos corps. La logique de l'espace public est celle de l'aliénation. Une synthèse disjonctive qui suit la trace des atomes à travers les flux de capitaux. Des millions d'organes produisant une effroyable cohésion, et pourtant, pour les 40 personnes dans la rame d'un tramway, se croiser le regard est impensable. Un rythme mortellement chiant marque la cadence de l'espace public. Cette merde, c'est l'usine.

    « Je me fous de ce que font ces pédés tant que c'est hors de ma vue. » L'espace public est désexualisé – un désert de corps stériles. « Ce qu'une personne fait dans l'intimité de sa chambre ne concerne qu'elle. » En conclusion, notre « moi » public concerne les agents du biopouvoir.

    Ainsi, le sexe dans l'espace public est une attaque biopolitique – une attaque de corps désirants contre ce monde et contre la merde dans laquelle nous vivons. En baisant où bon nous semble, nous agissons pour saboter les mécanismes du contrôle social. Nous refusons notre relation à l'usine et cessons de travailler – préférant faire le choix de limiter notre champ d'action à ce qui nous procure les joies les plus explosives et dangereuses. En transformant l'espace public en orgie, nous créons des zones d'indétermination où des formes de vie inconnues sont accouplées avec des affects sauvages et des désirs libérés. L'orgie publique comme zone autonome, comme ingouvernabilité érotique des enfants bâtards du biopouvoir.

    Un contre-espace public sexuel se mue en synthèse expansive, inclusive. Les bâtiments perdent le sens qu'on leur avait attribué, pour devenir le théâtre des aventures sordides de cette nuit. Nous redonnons un sens nouveau aux parcs, aux ponts et aux quais, devenus terrains de jeux illimités du désir. De belles singularités voyagent et conspirent ensemble à bord d'un train, imprégnées d'un potentiel surnaturel, et s'insurgent contre la stérilité et l'horreur du capitalisme postmoderne. La métropole est perçue sous l'angle de son potentiel : elle peut nous faire jouir de bien des façons. Les rues ne canalisent plus les flux de l'empire. Elles deviennent plutôt la source de corps qui se retrouvent, au coeur d'une révolte extatique. Craigslist[*] perd toute pertinence lorsque les flux de décadence sont reterritorialisés. Déclarer une « occupation » plus réduite n'aurait que peu de sens, voire aucun.

    Nous sommes paré-e-s à matérialiser une indistinction entre les modes de plaisir et le reste de nos misérables existences. C'est-à-dire, à réduire les catégories « sexe » et « vie quotidienne » à une décomposition séminale de la normalité. Avec en ligne de mire un potentiel de plaisir et un orgasme criminel jusque-là impossibles.

    Cette ligne de mire, si d'autres l'adoptent, peut mener à la crise, lorsque des populations entières, sensibilisées aux singularités de celleux qui participent à la mettre en oeuvre, allient et renouvellent leurs potentiels. Si par « sens » on entend une réunion de forces, et si une chose peut revêtir autant de significations qu'il y a de forces capables de la saisir, alors la force de tes lèvres sur mon cou et le poids de tes hanches contre les miennes créent une zone de clarté, du sens jouissant contre les murs. On pourrait l'appeler infusion de vie.

    Nous l'appelons devenir – une danse accélérée entre genèse et annihilation ; une invention charnelle, comme ils disent. Tandis que nous jouissons à l'unisson, l'un-e puise d'immenses affects virtuels chez l'autre : des façons dont les corps entrent en contact entre eux et avec le monde. Nous les combinons et les matérialisons dans la chair. Ce faisant, nous devenons monstruosité.

    Le devenir, né comme désir au-delà de toute limitation physique, ébranle les habitudes, creuse et élargit un fossé qui s'emplit – encore et encore – de potentiel. Re-devenir indomestiqué. Re-érotiser l'espace public. Par l'orgie, nous pouvons déchirer le tissu du contrôle social et créer des zones d'autonomie de plus en plus larges, peuplées par davantage de singularités plus sexy encore, contenant chacune une géographie virtuelle-sexuelle inconnue de ce monde.

    On a 17 ans et on baise au musée. Je suis à genoux, ta bite dans la bouche, au beau milieu d'oeuvres d'art maya et de statues de tigres. Nos murmures étouffés et nos respirations frénétiques deviennent un langage secret de pouvoir. Et nous, monstres en devenir, dévorons la retenue et les excuses, en une bouchée. Le monde vole en éclats quand nous jouissons, mais ça ne suffit pas. Nous voulons tout, bien sûr – exproprier l'espace public, le changer en une zone sauvage du devenir-orgie, et détruire ce qui nous barre la route.


    Notes

    [*] Site Internet de petites annonces



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    DESTRUCTION, OUI, SÉPARATION, NON : QUELQUES RÉFLEXIONS SUR L'ÉGLISE ET L'ÉTAT

    EXTRAITS DE PINK AND BLACK ATTACK 4

    30 JANVIER 2010


    LE DÉBAT SUR LE MARIAGE ENTRE PERSONNES DE MÊME SEXE, pour le courant politique dominant, est essentiellement divisé en deux camps : la droite est contre, et la gauche est pour. Naturellement, ces deux camps ne représentent que le discours dominant et marginalisent les autres opinions. Les anarchistes et autres radicaux-les ont ainsi de tout temps été opposé-e-s à l'institution du mariage en général, et ont plus récemment pris position contre le mariage entre personnes de même sexe, assimilationniste par nature. Une autre position, libertarienne[*] celle-ci, a également gagné en popularité ces dernières années : l'État ne devrait pas s'ingérer dans l'institution du mariage; il devrait être privé de tout statut juridique et relever plutôt de la seule autorité des églises. Il semblerait à première vue que cette position concorde avec la critique anarchiste. Elle propose essentiellement une solution non étatique à la question du mariage, sans ingérence du gouvernement ni réglementation de l'État. Il s'agit cependant d'une fausse alternative, précisément parce que c'est une solution non étatique. Ce qu'il faut, c'est une solution anti-État.

    La position libertarienne comporte deux volets principaux : l'un économique, l'autre social. L'argument économique consiste à dire que les allégements fiscaux et autres avantages financiers obtenus grâce au mariage s'apparentent à une aide sociale octroyée à celleux qui se marient. Au fond, celleux d'entre nous qui ne se marient pas payent pour celleux qui se marient. Selon l'argument social, le gouvernement ne devrait pas avoir son mot à dire sur qui se marie avec qui, puisque des adultes consentants devraient avoir le droit de se marier sans que l'Etat s'en mêle. Ces arguments sont tous deux convaincants ; le problème, ce ne sont pas les arguments, mais les idées reçues sur lesquelles ils reposent, et par extension les questions qu'ils laissent en suspens.

    Le rôle de l'État constitue peut-être le principal point de dissension entre les approches anarchiste et libertarienne. Comme nous l'avons dit plus haut, l'anti-étatisme tranche avec le non-étatisme. Or malgré les apparences ce n'est pas une simple question de terminologie. Au contraire, un véritable fossé sépare les deux positions : la position libertarienne repose tout entière sur une critique de l'intervention du gouvernement dans la vie privée des gens, plutôt que sur une critique du gouvernement en soi. Par exemple, l'argument libertarien économique affirme implicitement que la protection égale en vertu de la loi n'est pas effective actuellement, en raison des allocations versées à celleux qui choisissent de se marier. De même, l'argument libertarien social repose sur l'idée reçue selon laquelle il n'incombe pas au gouvernement de décider de qui peut ou non se marier : ce serait là une atteinte aux libertés.

    Ces arguments omettent tous deux l'idée selon laquelle le gouvernement est problématique en soi. Ils retournent le problème : le gouvernement serait trop présent, comme si en réduire l'intervention suffisait à résoudre le problème du mariage homosexuel. En outre, un argument fondé sur la recherche d'un rôle adéquat pour l'État dans nos vies implique d'accepter ce rôle, quel qu'il soit, en tant que sujets de l'État. Plaider pour un meilleur gouvernement, c'est plaider en tant que citoyens, en tant que personnes qui sont parties prenantes de la société régie par l'État.

    L'approche libertarienne néglige aussi de critiquer la société civile et tout ce qui la lie à l'État. En tant qu'anarchistes, nous voulons non seulement l'abolition du gouvernement, mais aussi de la hiérarchie et de la domination sous toutes leurs formes. Cantonner le mariage à un simple engagement religieux ne remet en cause ni la nature patriarcale du mariage ni l'hétérosexisme généralisé et étayé par l'Église.

    Si nous voulons abolir les hiérarchies et l'autorité, détruire l'oppression et la domination, nous devons prendre pour cibles toutes les institutions qui les maintiennent, les entretiennent, ou en dépendent. Une plus forte séparation entre l'Église et l'État n'y change rien : la solution non étatique en matière de mariage entre personnes de même sexe est donc au mieux inutile. Elle ne fait qu'apporter une solution à la question politique des droits, de la forme de gouvernement la plus appropriée et de la protection égale. Tout cela n'a que peu d'intérêt pour celleux d'entre nous qui sommes en quête de la libération queer.

    Nous n'en appelons pas au gouvernement en qualité de sujets, en quête d'une égalité qu'il nous a longtemps promise mais jamais accordée. Nous ne cherchons pas à ajuster le rôle du gouvernement dans nos vies. Nous ne cherchons pas à faire du mariage une institution strictement religieuse. Ce ne sont là que des solutions politiques à la question politique du mariage entre personnes de même sexe.

    Le mouvement moderne du mariage pour tou-te-s est l'héritier du mouvement de libération queer des années 1960. Ce mouvement était une réponse à l'hétérosexisme structurel qui est aujourd'hui encore l'un des piliers de la société américaine. Cependant, lorsque le mouvement s'est tourné vers le militantisme politique comme vecteur de changement, il a adopté la logique du système politique. Celui-ci comporte des règles et des structures bien définies qui imposent un cadre restreint aussi bien aux revendications qu'aux solutions. Ces revendications, parce qu'elles doivent adhérer à un système de règles abstraites, deviennent abstraites parce qu'elles doivent être établies selon les termes fixés par le système politique. Ainsi, le mariage entre personnes de même sexe devient une revendication politique, qui exige une solution politique. Ces solutions politiques doivent également adhérer aux règles du système, ce qui empêche tout renversement du processus politique (la primauté du droit).

    Le système [et] le processus politiques écartent ainsi les solutions qui dérogent à ses règles et à ses limites. La solution libertarienne à la revendication du mariage entre personnes de même sexe s'inscrit dans ces limites, et ne fait rien pour les contester. Elle ne défie ni le système politique ni le système social en général. Si elle répond à la revendication sans l'État, elle le fait d'une manière qui n'affecte en rien le processus politique.

    Pour aller vers une solution anti-État, nous devons d'abord pousser à une nouvelle réflexion sur la question du mariage entre personnes de même sexe. Comme nous l'avons noté plus haut, le nouveau souffle qui habite le militantisme politique en faveur du mariage pour tou-te-s nous vient d'une lutte pour la libération. Cette lutte, à travers sa politisation, a été réduite à une série de revendications vis-à-vis de l'État. Nous devons rejeter ce phénomène et lutter contre la politisation de la lutte, contre la transformation de nos vies en question politique.

    NIQUE L'ÉGLISE, NIQUE L'ÉTAT


    Notes

    [*] Libertarien (de l'anglais libertarian) : partisan d'un ultralibéralisme anti-étatique.



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    RÉFLEXIONS SUR LA DISSOLUTION DE BASH BACK!

    DE PINK AND BLACK ATTACK 6

    LE 2 SEPTEMBRE 2010


    [Pink and Black Attack est un journal queer anarchiste et antiassimilationiste qui a vu le jour dans la région du nord-ouest des États-Unis. De nombreux communiqués d’actions clandestines y ont été reproduits, et de nombreux textes théoriques et de réflexions y ont été publiés, contribuant pour beaucoup à la prolifération de Bash Back!. Le journal a survécu après la mort du réseau Bash Back! mais a depuis cessé de paraître.]


    Bash Back! a vu le jour en tant que réseau d’anarchistes queers afin de marquer une présence spécifiquement queer lors des manifestations contre le congrès national démocrate (CND) et le congrès national républicain (CNR) de l’été 2008, remarquant l’absence de visibilité lors des mobilisations passées. Bash Back! s’est rapidement développé, et des sections ont été créées partout aux États-Unis. L’affirmation « Bash Back! est mort » était l’un des principaux mots d’ordre de la rencontre Bash Back! De 2010. Je voudrais proposer quelques pistes de réflexions sur cette affirmation et ses implications.

    LE RÉSEAU

    La formation du réseau Bash Back! s’est faite dans un but précis : les contre-manifestations lors des congrès nationaux démocrate et républicain. A l’époque de la formation de BB!, il n’existait aucune organisation ou réseau spécifiquement anarchiste et queer au niveau national. Malgré l’existence de longue date de groupes anarchistes queers locaux ou régionaux, l’objectif de ces groupes reste local. Bash Back! s’est constitué pour répondre à un besoin de réseau anarchiste queer national, comme en atteste son vif succès. La création d’un réseau national était alors jugée utile puisque capable de rassembler un grand nombre de queers anarchistes sous un même mot d’ordre : la résistance face à ces congrès. Ceci démontre également le désir pour un grand nombre de personnes de se rassembler spécifiquement autour de cette identité.

    Des points d’unité ont été adoptés et de nouvelles sections sont encore apparues à travers le pays. Le seul critère d’adhésion était l’adoption de ces points d’unité, d’où la création d’un réseau de sections décentralisé et très informel (avec une certaine présence au niveau international). La structure du réseau, organisé en sections locales autonomes plutôt que selon des principes d’organisation traditionnels et formels, en a également facilité l’expansion rapide. L’accent était mis sur l’action. Au-delà des points d’unité, l’unité idéologique et tactique n’était pas une priorité. Même ces points fournissaient un simple cadre pour une définition au sens large de l’anti-oppression, de l’anti-assimilation, de la libération et de la diversité de tactiques. Bash Back!, en tant que réseau plutôt qu’organisation formelle (à l’instar d’une fédération), n’a jamais formellement tenté de définir son analyse politique.

    Les sections locales qui composaient Bash Back! étaient loin d’être homogènes. Les différentes sections étaient seulement reliées entre elles par un nom et éventuellement quelques amitiés communes, chaque section étant unique dans son mode de création, de fonctionnement et d’action. C’est pourquoi il est difficile de parler des membres de Bash Back! en tant que groupe distinct, puisque l’adhésion à Bash Back! n’impliquait aucune unité idéologique, ni aucun type de contrôle ou de suivi. Certaines sections étaient plus actives que d’autres, notamment dans le Midwest.

    Tandis que l’organisation de Bash Back! n’était aucunement centralisée, d’autres convergences nationales ont tout de même eu lieu après la rencontre fondatrice. Les convergences se distinguent des conventions ou des conférences, la participation n’étant pas restreinte aux seul-e-s membres de l’organisation, et n’étant pas l’occasion de prises de décision au nom du réseau. A l’inverse, les convergences ont permis de se concentrer sur le renforcement du réseau de manière informelle.

    TENSIONS ET MORT DE BASH BACK!

    « Notre violence est-elle de substance ou d'image ? »
    Questions à aborder avant la convergence Bash Back! de Denver

    L’expansion rapide de BB! (après l’été 2008) a suscité des questions d’unité politique et a abouti au conflit lors de la convergence de 2009. On peut l’expliquer par la dilution des liens affinitaires de proximité due au développement du réseau Bash Back! à travers le continent. Même s’il n’existe aucune position politique officielle au nom de « l’organisation », officieusement, il semblerait que les liens affinitaires entre les premières sections étaient plus forts, surtout en termes tactiques. La convergence de 2009 a été le théâtre de forts désaccords (à la fois politiques et tactiques) entre les participant-e-s. En l’absence de liens personnels forts, ces conflits se sont intensifiés.

    Au moment de la convergence de 2009, les actions de Bash Back! communes à plusieurs sections s’étaient aussi faites plus rares. Au lieu d’actions conjointes comme lors des manifestations anti CND/CNR, contre l’église Mt. Hope et la campagne « Vengeons Dauba », des sections isolées menaient des actions individuelles. Si la cause de ce déclin ne peut être identifiée, il est probable que la diminution des actions conjointes ait contribué à l’étiolement de l’unité tactique.

    Le développement de liens affinitaires issus d’actions communes a été inversement proportionnel à l’expansion de BB!. Ce n’est pas une mauvaise chose en soi, si c’est le symptôme d’une réorientation sur le travail local ou l’activité clandestine. Cela démontre en tout cas un affaiblissement des liens intersections caractéristiques des origines de Bash Back!.

    Les différences politiques et tactiques, qu’aucun processus organisationnel interne à Bash Back! ne pouvait résoudre, ont donné naissance à des visions opposées de l’organisation. Lors de la convergence de 2010, l’avenir de BB! a ainsi été remis en question. Les divergences d’opinion portaient sur le mode organisationnel du groupe. Certaines personnes préconisaient une forme d’organisation qui s’apparentait davantage à une fédération : relations formalisées entre les sections, insistance accrue sur l’unité politique/théorique. D’autres ont affirmé que Bash Back! était mort/devait mourir en tant qu’organisation.

    De nombreux points allaient ensuite être remis en question : organisation ou anti-organisationnalisme, affirmation de l’identité queer ou négation de l’identité, non-violence ou appel à une diversité de tactiques, autonomie ou révolte, construction d’une libération queer autonome qui déplace le pouvoir étatique/hétérosexuel ou destruction de l’existant. Il convient ici de marquer clairement l’identité comme source de ces tensions. Celles et ceux qui ont estimé que l’autodétermination servait de base nécessaire pour entrer dans la lutte se sont opposé-e-s à d’autres, qui voyaient la compréhensibilité et l’identification comme des récupérations.

    Certain-e-s ont annoncé la mort de Bash Back! juste avant la convergence de 2010 à Denver. Si cette affirmation peut encore être mise en doute, imaginer la mort de Bash Back! permet d’entamer une discussion sur son rôle.

    Puisqu’il s’agissait d’un réseau informel, BB! ne s’était jamais concentré sur des tâches institutionnelles, telles que l’inscription des membres, l’éducation politique, la définition de campagnes ou d’orientations stratégiques. Le soin de ces tâches, si elles devaient être effectuées, avait été laissé à chaque section. Il est donc difficile de parler de BB! dans son ensemble, parce qu’aucune position ou politique organisationnelle n’a jamais été explicitée.

    La taille, les activités et le mode d’organisation des sections étaient variables à travers le pays. Selon les sections, le recrutement était ouvert ou affinitaire, basé ou non sur des réseaux préexistants d’amis et de camarades. Ces différences importantes entre les sections rendent toute discussion sur BB! ardue, puisque sa seule définition résidait dans l’acceptation des points d’unité. La facilité à rejoindre BB! a permis une croissance rapide en visibilité et en nombre, accompagnée d’actions revendiquées par des sections et des membres sur l’ensemble du pays.

    L’ORGANISATION

    « Si nous devions un jour avoir une liste des membres, ne nous inscrivez pas dessus. »
    Questions à aborder avant la convergence Bash Back! de Denver

    L’extrême décentralisation adoptée par Bash Back! à son commencement incluait des limites et compromis. Ces limites ainsi que la nature identitaire de BB! peuvent fournir des bases théoriques afin de mieux comprendre son ascension et sa chute.

    En faisant de l’action et de la constitution d’un réseau ses principales impulsions et expressions, Bash Back! faisait peu de cas d’une unité politique et théorique. Si cette position n’est pas problématique en soi, les contradictions internes de l’identité queer ont compliqué la tentative d’établir un réseau anarchiste queer. Puisque le queer est largement compris comme une identité explicitement sociale plutôt qu’une identité explicitement politique, les visions politiques réelles des membres de Bash Back! étaient fort différentes. En dépit des bases anarchistes de BB!, le terme « anarchiste » était employé dans le sens d’une identité politique passive, plutôt que pour dessiner une unité politique cohérente. Le manque d’affinité politique devint problématique lorsque l’adhésion était basée sur l’identité sociale. Les choix de Bash Back! en ce qui concerne sa forme d’organisation furent donc limités, puisque n’importe quelle formalisation vers une structure de type fédéral aurait été entravée par le manque d’unité idéologique parmi ses membres. La forme organisationnelle de Bash Back! influa également sur sa longévité. Sans définition précise de l’adhésion ni des stratégies et des objectifs, sans délégation de responsabilités, aucun mécanisme ne permettait à BB! de maintenir une existence officielle. Comme indiqué précédemment, le groupe avait été fondé dans l’objectif de générer un réseau et une série d’actions précises (les manifestations contre les CND/CNR), c’est-à-dire pour répondre à un besoin spécifique. Son but premier n’était non pas la permanence de l’organisation, mais la constitution d’un réseau anarchiste queer reposant sur une structure minimale.

    Une organisation qui répond à un besoin spécifique rend sa permanence inutile à partir du moment où le besoin est satisfait. Si la permanence organisationnelle devient une préoccupation secondaire, la dissolution d’une organisation peut alors être une alternative souhaitable, puisque le maintien d’une organisation n’est pas une fin en soi. Le passage d’un réseau fortement décentralisé à une organisation plus formelle changerait irrévocablement le caractère de l’organisation. Le désir de s’essayer à une restructuration radicale d’une organisation existante indique que priorité est donnée à la conservation du nom et de l’héritage de l’organisation, au détriment des actions qui ont créé sa réputation. Si une organisation ne répond plus aux besoins des personnes du fait de ses limites structurelles, mieux vaut s’en débarrasser.

    FIN

    « Baiser, seulement baiser »
    Graffiti sur un mur pendant une discussion de préparation d’actions. Convergence BB!, mai 2010

    A l’origine, Bash Back! tentait de combler un vide – l’absence de réseau anarchiste queer. C’est l’affinité de ses participant-e-s qui a formé Bash Back!. Les actions qui en étaient l’expression trouvèrent un certain écho, et de nouvelles sections virent le jour. Si cette résonance stimulait la croissance de cette tendance, elle permettait à différentes sections de réinterpréter Bash Back! depuis leurs désirs politiques particuliers et leurs situations locales de lutte. Le statut de Bash Back! comme réseau imposait certaines limites qui n’auraient pu être franchies sans un changement fondamental du modèle d’où était tiré son succès initial.

    Parler de la mort d’une organisation suggère généralement un événement négatif, pour peu que l’on retienne l’hypothèse selon laquelle la permanence d’une organisation serait une bonne chose. Si on abandonne cette supposition, la question devient : avons-nous atteint nos objectifs avec cette organisation, ces moyens, cet outil ? Si la réponse est affirmative, si l’organisation a exploité tout son potentiel, peut-être sa mort est-elle méritée. La mort de Bash Back! ne sonne pas le glas du renouveau de l’activité anarchiste queer et du réseau. Des relations sont nées de la création de Bash Back! et y ont survécu. Lorsque nos projets atteignent leur date de péremption, n’ayons pas peur de les ranger parmi les affaires classées.



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    COMMENT DEVENIR BEAUTÉ ?

    JANVIER 2011


    [Note de traduction : le titre de ce texte fait référence à l’article « Comment faire? » paru en octobre 2001 dans Tiqqun 2. Les titres des deux pamphlets commencent en effet de la même façon dans leurs versions anglaises : What is it to be done ? et What is it to become beautiful ?]


    Note de la rédaction :

    Une grande partie de la théorie queer insurrectionnaliste nord-américaine a pris la forme d’attaques, de traits d’humour et de satire aiguë. Voici un de ces textes. Êtes-vous suffisamment queer pour distinguer le sarcasme de la vérité ? L’auteur-e de cet article est-ielle suffisamment queer pour comprendre ce qu’est le sarcasme et ce qu’est la vérité ? Le sarcasme et la vérité seraient-ils interchangeables, leur différence perceptible, y compris pour le/la théoricien-ne ?

    En juin 2010 à Oakland (Californie) la population s’est révoltée contre l’Etat policier raciste, même si cela n’a duré que quelques heures. Cela a abouti au saccage et au pillage massif d’une boutique de produits de beauté. Le/la propriétaire de la boutique aurait dit : « Il y en avait plein ! Pas seulement quelques un-e-s. Et ils/elles ont pris les perruques les plus chères du magasin ! » Pas de justice, pas de paix pour les thésaurisateurice-s de beauté.

    On nous fait croire dès le plus jeune âge que tout le monde est beau. C’est faux. Nombreuses sont les personnes abominables, abjectes et terriblement laides en ce monde. Quand la société décrit quelqu’un-e comme agréable, correct et admirable, une Beauté en devenir doit deviner que la personne dont on parle est exactement le contraire. Celleux qui sont apprécié-e-s par les moches sont en général celleux qui essayent d’arracher votre butin, de vous voler, ou de condamner votre vie à la misère (par exemple Gandhi, ce violeur d’enfant/collabo de l’État ; Mère Teresa, cette pétasse anti-capote responsable de la propagation rapide du VIH ; et Franklin Delano Roosevelt, ce connard qui a ordonné l’internement des américains d’origine japonaise dans des camps de concentration). Devenir beau, c’est défier constamment le colonialisme et l’oppression intégrés, avec originalité lorsqu’ils sont extérieurs. Si une personne ne relève pas ces défis, elle a peu de chance d’être belle. En fait elle n’est même pas passable. Elle est super moche.

    Pour celleux qui recherchent la beauté, acceptez votre esprit et votre sexe pour ce qu’ils sont, au-delà de ce que vous voulez qu’ils soient. Le désir de modifier ses traits pour se conformer à la « beauté » de l’oeil public est nullité incorporée. La beauté n’est pas la norme malhonnête. Réciproquement, le désir de baiser qui vous vous voulez ou de troquer cette bite fatiguée pour une chatte toute neuve est une volonté inestimable. Modifiez votre corps pour combler votre âme. Charmez-vous avec éclat. La beauté est la confrontation violente et persistante entre votre corps et Cosmo[1]. Désirez-la, d’une folle envie.

    Malheureusement, devenir beau est plus compliqué qu’il n’y paraît. À vrai dire, le relooking total, ce n’est pas pour tout le monde. Notre beauté extérieure a été si brutalement prise en otage par la cupidité patriarcale. Cette marchandisation de la beauté pourrait être l’un de nos ennemis les plus mortels. Nous ressentons toutes et tous le besoin de beauté artificielle. Vomir, faire de la gonflette, acheter du mascara, ou ne manger presque rien. La beauté marchandisée a un impact négatif sur tout un chacun, celleux qui disent le contraire sont des menteur-euse-s. Tant que nous courrons après la beauté marchandisée, plutôt qu’après la beauté réelle, nous serons condamné-e-s à la dépression, à la maladie et à la faiblesse. Personne ne peut acheter la beauté, on ne peut qu’accentuer notre devenir.

    Devenir beau est l’outil le plus précieux dans le combat contre l’extrémisme socdém[2]. Les socdéms sont moches, trop moches, on pourrait même dire surmoches. La beauté en devenir terrifie les socdéms. Ielles seraient prêt-e-s à tout – à mentir, tromper et voler – pour asseoir leur domination sur le grand public opprimé. La vérité est le lieu de la vraie beauté. Le socdém bien installé craint la vérité et les tactiques qu’exige le vrai changement. La beauté chie sur l’idée hypocrite et fétide du respect de la diversité des tactiques. Ne respectez jamais les tactiques d’un-e socdém et ne confondez pas les « socdéms » avec celleux qui s’exposent réellement aux risques de répression étatique. N’ayez aucune patience pour celleux qui le font. Finalement, le beau menace la classe socdém bien installée, le privilège et la supériorité raciale.

    Les Beautés sont les seul-e-s vrai-e-s ennemi-e-s du fascisme. Barack Obama ne pourrait jamais remporter la guerre contre le fascisme des entreprises. Il est le fascisme d’entreprise. Il est hideux. Dans l’arène politique américaine, la droite ne craint pas « la gauche ». Grattez un peu la surface de leur peau sèche et pâle et vous trouverez Nancy Pelosi et Ron Paul[3] en train de se frotter tout habillés dans les backrooms du Congrès. Le beau, c’est prendre pour cible tout ce qui est hétéro de nature. Consacrez vos vies à enchaîner les crimes de lèse-hétéro-sexualité. Comprenez bien que « hétéro » ne veut pas dire « un homme et une femme » : sur l’échelle vers la supériorité hétéro, les gays et les lesbiennes chevauchent déjà les plus hauts échelons. L’hétéronorme est le produit du patriarcat et de l’assimilation. C’est la clôture blanche de banlieue pavillonnaire[4], ce sont les gays à la télévision qui tiennent les trans responsables de l’échec de leurs revendications pour le mariage, c’est « Pas de gros pas de folles[5] », c’est le viol et l’éducation seulement en anglais. Les crimes de lèse-hétéros sont la manifestation physique du beau dans notre guerre contre l’hétéronorme et vers notre but ultime : l’avènement d’une dictature du beau.

    Les Surmoches affirmeront être les allié-e-s des Beautés ; ne vous y méprenez pas. L’hétéronorme ne reculera devant rien pour réprimer un conflit entre un-e queer et un-e camarade hétéro. Les hétéros pourraient même utiliser des arguments comme la paix et la sécurité comme écran de fumée dans leur tentative de conserver le statu quo. À vrai dire, les queers n’ont aucun besoin ni intérêt dans une sécurité ou une paix offerte par des hétéros. C’est valable pour tous les autres opprimé-e-s qui font aussi partie de la beauté.

    Devenir beau, c’est perdre toute crainte. Ne vous trompez pas : cette intrépidité n’est pas commune. Acceptez toutes les émotions comme légitimes et puissantes. Pour la Beauté, perdre toute crainte ne veut pas dire ne plus avoir peur du tout, mais ne plus être paralysé-e par la perspective des conséquences de la révolte. Au lieu de cela, la Beauté utiliserait la peur comme source de précaution, de réflexion et d’intelligence face à un conflit avec le Moche. Cette audace éclairera le chemin des Beautés en devenir.

    Être queer ou pute ou indigène ou personne racisée, c’est être l’épée de celleux qui cheminent sur la route de la Beauté. Chez ces factions particulières, l’oppression a généré un ressentiment que le mac, le petit Blanc ou l’hétéro ne connaîtront jamais. Une position stratégique à tenir. Si l’opprimé-e faisait sienne la rage connue d’ellui seul-e et l’utilisait comme l’arme la plus puissante qui ait jamais existé, alors rien de moche n’arrêterait jamais plus le beau. Cette rage est ce qui assure la survie. C’est pourquoi, indépendamment des millénaires de colonisation, l’indigène, la pute, la personne racisée, la trans et la queer existent toujours.

    Les Beautés savent que la libération n’est qu’un mythe. La libération ne pourrait être obtenue que si le temps, en tant que vu par les débiles moches, était rembobiné. Après ce miracle, les armes devraient être distribuées aux Beautés et on arracherait les membres des moches. Malheureusement, vu que le voyage dans le temps, à l’heure actuelle, est une impossibilité, il n’y aura jamais de libération. Seule une libération partielle et superficielle pourrait venir d’une purge de tous les moches, qui seraient à leur tour torturés dans des camps de rééducation. Cette option, tout aussi improbable, pourrait nous faire plaisir et nous débarrasser du moche. Pourtant, une telle vengeance ne sonnerait toujours pas notre libération complète. La libération complète est une condition accessible que par des personnes, des animaux ou des choses qui n’ont jamais été l’objet de marchandisation. En ce monde hideux des fascistes moches, la beauté a trop longtemps été exploitée pour donner le change. Devenir beauté, c’est mener une lutte libératrice sans espoir de libération.

    La révolution est un mensonge. Le Moche a perfectionné l’art de la cooptation et de la récupération. Aujourd’hui la laideur sait emballer la plupart des émotions ou des philosophies. En conséquence, il ne reste aux Beautés qu’une absence de guerre, mais certainement pas un désir pacifiste. Les Beautés en devenir n’ont plus qu’à adopter un nihilisme débauché, un hédonisme collectif ; à ne pas confondre avec une débauche apathique. C’est une fureur qui doit être cultivée, voire glorieusement exploitée, pour assurer notre survie et notre bonheur.

    Sous la coupe d’un fascisme omnipotent mais invisible, les Beautés en devenir doivent être extrêmement discrètes. La beauté en lutte ne peut parfois poursuivre son chemin qu’en revêtant les habits du maître. Cela vaut pour les putes de toute sorte, qu’elles soient assimilationnistes ou alternatives, multinationales ou de rue, sur le chemin de la beauté marchande ou en train d’en faire sauter les pavés. On se sacrifie toutes pour manipuler l’ennemi. Le miroir est une arme, attends que le drapeau noir ait brûlé pour le briser. Il faut maintenir des objectifs ambitieux et aiguiser nos consciences. Découvrez votre beauté. Chérissez votre beauté.

    Croyez-en votre beauté. Accrochez-vous-y.

    Sentez votre beauté. Connaissez votre beauté. Caressez votre beauté. Doigtez votre beauté. Mangez votre beauté. Baisez votre beauté. La beauté est votre seul secret. Manifestez-la autant que faire se peut. Devenez aussi beau et belle que possible. Surtout, soyez votre beauté.

    Celleux qui méritent la beauté savent qu’un jour le monde appartiendra aux Beautés. Devenir Beauté est le seul espoir de la jeunesse. Devenir Beauté est une mesure extrême, c’est vrai, mais c’est le seul chemin vers le bonheur, l’amour, la réalisation de soi et la révolte. La guerre peut ne pas être ici, elle peut ne jamais advenir, mais la beauté est presque là.

    Il nous faut aiguiser la lame de l’épée, même en l’absence de guerre ; pour autant, les Beautés en devenir doivent se débarrasser des vieilles couches d’illusion. Les couches illusoires sont : la guerre révolutionnaire contre les moches avec pour résultat la libération finale des trans et des queers. Donc, pleins feux sur la rage et le ressentiment. Ces différentes logiques émotionnelles sont les seules armes accessibles aux belles personnes qui ne pourront jamais être incorporées à l’armée des couilles moches. Dissipez vos illusions au nom de la beauté.

    La guerre révolutionnaire est impossible. La libération ne viendra pas. L’ultraviolence queer est beauté.


    Notes

    1. Cosmo : le magazine Cosmopolitain.

    2. Le terme liberal en anglais fait référence à la gauche réformiste. Nous avons choisi de le traduire dans ce texte par « socdém ».

    3. Nancy Pelosi et Ron Paul : respectivement membre de l’aile gauche du parti démocrate et de l’aile droite du parti républicain.

    4. Aux États-Unis, la « clôture blanche » (white picket fence) est le symbole du mode de vie des classes moyennes et aisées, dans les beaux quartiers de banlieue pavillonnaire, où la famille et le foyer sont protégés du monde extérieur par une clôture.

    5. « Pas de gros pas de folle » : introduction malheureusement bien connue des profils de sites de rencontres gays.



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    ENTRETIEN AVEC NOT YR CISTER PRESS (NYCP)

    FÉVRIER 2011


    [Proche de Bash Back! Chicago, NotYr Cister Press est un blog et un projet de distribution de textes transféministes insurrectionnalistes.]


    Pas la « cister[1] » de qui ?

    Eh bien, la soeur de personne. Nous sommes opposé-e-s à la thèse féministe d’une sororité universelle qui unirait toutes les femmes, et qui serait un éventuel point de départ pour l’action révolutionnaire. En bref, c’est un désaveu de la politique de l’identité, et en particulier de la plupart des courants féministes, en tant que moyens de libération. On constate que la thèse de la sororité s’est rapidement décomposée face aux clivages de race, de genre et de classe qui sont apparus au fil des décennies et des mutations du féminisme. « Cister » fait spécifiquement référence au contrôle des corps trans par le mouvement féministe, en particulier les corps des femmes trans, et c’est ce genre de normalisation de la violence qui nous a poussés à voir la politique identitaire comme un échec stratégique. Nous cherchons plutôt à produire et/ou disséminer des textes pour révéler la violence des processus de différenciation de genre qui maintiennent les catégories homme/femme, cis/trans et normal/artificiel, entre autres, ainsi qu’à théoriser les manières dont ces identités peuvent être détruites.

    Quelle était la position de NYCP par rapport à BB! et sa scission ?

    Bash Back! correspondait à une époque relativement formatrice dans le développement (anti-) politique de tous-tes celles et ceux impliqué-e-s dans NYCP. On a observé le déclin de Bash Back! et la transformation d’un projet qui a commencé en étant complètement anti-identité pour devenir porteur d’un discours LGBT de gauche avec seulement quelques variantes idéologiques mineures. La 2e convergence BB! a le plus illustré cette transformation, quand l’identité trans a été utilisée comme moyen tactique pour contrôler les courants les plus portés sur l’aspect insurrectionnel de Bash Back! et pour renforcer la politique identitaire dans les esprits des participant-e-s à la convergence. Dès lors, nous nous sommes consacré-e-s à dévoiler les moments comme celui-là, où nos identités ont été employées contre nous comme forme de contrôle et de confinement.

    De quelle manière BB! était-il hanté par la politique LGBT traditionnelle ? Comment ce développement a-t-il été une trahison de BB! ?

    Je crois évidemment que la manifestation du libéralisme dans Bash Back! a commencé par la perception du queer comme forme d’identité plutôt que comme destruction de l’identité. Le reste a vraiment découlé de là : Bash Back! est alors devenu un genre de terrain de reproduction stagnant pour une politique qui s’est concentrée sur cette « identité queer », ce qui a vraiment juste reproduit cette marque politique de sous-culture, de style de vie qui tournait autour « des espaces safe », des orgies et du genderfucking vus comme une sorte de résistance sublime au statu quo plutôt que d’essayer de relier celles et ceux qui sont réellement dans l’attaque à différents points de la rupture sociale. Quand le queer a commencé à signifier un peu plus que « activiste pansexuel », Bash Back! est devenu un milieu social de gauche au lieu d’un espace depuis lequel attaquer, ce qui pour moi avait représenté tout l’intérêt de l’idée de riposte. En fait attaquer et riposter ont été tellement mis de côté qu’à Denver on a entendu des commentaires du style « Eh bien, je pense que c’est une métaphore, tu vois ? Riposter peut être tout et n’importe quoi, comme créer des espaces safe ou porter des vêtements non conformes aux normes de genre en public ».

    Quelles sont vos influences ?

    En terme de théorie, nous avons été influencé-e-s par beaucoup de tendances philosophiques, y compris des éléments de théorie queer, d’autonomisme, de théorie critique et d’anarchisme. Les écrits de Susan Stryker sur la monstruosité et l’identité trans dans « My Words to Victor Frankenstein Above the Village of Chamounix[2] » était le premier zine que nous avons mis en page et il est une influence fondamentale sur notre compréhension du genre et de l’insurrection, de même que les travaux de Lee Edelman, Silvia Federici, Tiqqun, et d’autres projets féministes négatifs contemporains comme Pétroleuse Press et Gender Mutiny.

    Comment le transféminisme insurrectionnaliste se rapporte-t-il à d’autres féminismes insurrectionnels ?

    Je crois que sous beaucoup d’aspects nous nous voyons comme un mélange des féminismes insurrectionnels davantage influencés par l’autonomisme européen et tous les projets théoriques queers tournés vers la négation qu’on trouve de nos jours. Le transféminisme insurrectionnaliste comme ensemble d’idées a partiellement résulté de projets à tendance plus marxiste qui font l’apologie de textes vraiment essentialistes en ce qui concerne le genre, comme le SCUM manifesto et Luce Irigaray, sans vraiment déconstruire comment ces écrits venaient toujours d’un point de vue qui était vraiment simpliste et naturalisé sur la façon dont le genre/sexe est maintenu. Beaucoup de personnes trans ont totalement adhéré au fait de participer à cette recrudescence récente du féminisme insurrectionnel et ont eu une tonne d’affinité et de respect pour ces projets et les personnes qui y étaient impliquées, mais ont néanmoins été plutôt rebutées par cette façon non critique de publier certains textes vraiment transmisogynes. NYCP a commencé comme tentative d’occuper l’espace théorique où un féminisme insurrectionnel anti-essentialiste, totalement négatif, pourrait prendre racine. D’autres écrits, comme « Dictatorship of the Postfeminist Imagination » de IEF[3] et le communiqué des anarcha-féministes de San Francisco, ont représenté des contributions vraiment intéressantes dans ce domaine et je crois complètent un point de vue transcentrique, anti-essentialiste sur ces idées, et nous pouvons seulement espérer que ces idées continuent à se développer et deviennent une force dont on doive tenir compte.

    Y a-t-il une tension inhérente à la tentative de déstabilisation du féminisme fondé sur l’identité par le centrage théorique sur l’identité de femmes trans ? Parlez-nous de certaines de ces tensions.

    Eh bien j’imagine que nous ne voulons pas exactement focaliser la théorie sur l’identité des femmes trans, mais plutôt dévoiler la violence de la normalisation identitaire dans les vies des personnes qui appartiennent à cette catégorie, comme d’autres qui vivent une certaine résonance avec les expériences qui accompagnent le fait d’être placé-e-s dans ce genre de catégorie. Je pense que la tension la plus intéressante et la plus importante est davantage celle entre le désir d’une théorie qui peut mener à l’oblitération de l’identité et d’une théorie qui peut s’adresser aux conditions matérielles de celles et ceux qui sont affecté-e-s par les dispositifs de discipline qui créent des personnes en tant que certains types de sujets. Nous voulons montrer que la misère que beaucoup de femmes trans subissent quotidiennement est directement liée à la totalité des relations sociales au sein du capitalisme, et prouver simultanément qu’afin que les femmes trans détruisent ces relations sociales elles doivent également finir par se détruire elles-mêmes en tant que trans et en tant que femmes. Ce n’est pas du tout une théorie isolée ; c’est plutôt une partie du projet, comme Frère Dupont le décrit plutôt bien je trouve dans Species Being[4] : « invit[er] d’autres à réfléchir sur la vérité de leur propre angoisse personnelle, et identifier de ce fait leur propre relation au monde », et par conséquent « harmoniser leurs propres sentiments de répulsion pour ce monde ». Nous sommes une petite partie d’une telle invitation, et espérons nous étendre et maintenir des liens avec d’autres à différents noeuds de la lutte sociale.

    Est-ce que le transféminisme insurrectionnaliste est un mouvement pour l’inclusion dans ces discours féministes insurrectionnels (une correction à ce projet) ou est-ce un discours tout à fait différent ?

    Je crois que nous regrettons déjà partiellement la création de ce genre « d’-isme », parce que le transféminisme insurrectionnaliste s’attache vraiment moins à créer une sorte d’ensemble cohérent d’idées ou cette nouvelle idéologie à laquelle tout le monde devrait s’intéresser ou adhérer, qu’à ajouter des réflexions qui élargiront les idées insurrectionnalistes à un groupe de personnes qui a toutes les raisons de détester les conditions dans lesquelles elles vivent. Je ne suis pas sûre de vouloir faire croire que le transféminisme insurrectionnaliste doive être une correction à une certaine image totalisante d’un ensemble cohérent d’idées féministes insurrectionnelles, mais je ne suis pas non plus sûre de vouloir faire penser que ce que nous faisons est séparé de ce que Pétroleuse Press, l’IEF et d’autres font en produisant leurs théories. Donc partiellement il s’agit d’accroître les tendances du féminisme insurrectionnel (avec lesquelles nous sommes déjà d’accord) et de la négativité, et de rejeter l’essentialisme de genre, mais il s’agit également d’affirmer un nouveau discours philosophique dans les espaces « trans radicaux », qui sont vraiment la plupart du temps infestés par le même genre de politique queer de gauche qui a fini par détruire Bash Back!. J’imagine que ce qui nous distingue de ces autres discours, c’est peut-être notre intervention directe sur les récits trans dont nous faisons partie intégrante.


    Notes

    1. Jeu de mot composé de sister, « soeur », et du préfixe cis qui signifie « non-trans ».

    2. Stryker Susan, « My Words to Victor Frankenstein above the Village of Chamounix : Performing Transgender Rage », GLQ : A Journal of Lesbian and Gay Studies, 1994.

    3. Institute for Experimental Freedom, « Institut pour une liberté expérimentale ».

    4. Dupont Frère, Species Being and other Stories, Arden Press, San Francisco, 2007.



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    JE NE RIPOSTE PAS JE TIRE EN PREMIER

    DATE INCONNUE


    [Ce texte a circulé dans les cercles queers anarchistes de la région du nord-ouest des États-Unis, où sa lecture a entraîné une certaine controverse.]


    SUR LES GANGS QUEERS

    Mettons d’abord les choses au clair : Bash Back! est mort – de l’histoire ancienne. Tou-te-s autant qu’on est, on ne se lasse pas de baiser son cadavre, alors que ce corps immonde est en état de décomposition avancée, déjà nauséabond. Peu importe. Ce qui compte vraiment, à l’heure où la disparition de Bash Back! A sonné, c’est que si ce virus queer ne parvient pas à se propager, si notre incroyable prolifération n’a pas lieu, c’est qu’on se fait des illusions en assimilant ce que nous avons vécu à un « décès » (malgré nos fantasmes d’insurrecto-nihilistes new âge) – si tel est notre cas, nous avons alors choisi de survivre au statu quo, de faire la paix – même avec notre mauvaise attitude notoire. De faire-être l’Intégration, par d’autres moyens. Et c’est cool, non? LOL ~ <3 mdr <3 ~ Va te faire foutre, Nique Tout. Si tu fais la paix, c’est qu’on était ennemi-e-s dès le début – Va te faire foutre. Pour tou-te-s celles qui restent insatiables : votre joie, votre haine et vos ami-e-s attendent ; alors bougez-vous le cul et recommencez. Les salopes insurrecta enragées avaient raison (mais qu’on se le dise plutôt deux fois qu’une : les « groupes affinitaires », c’est de la merde) : faut pas lâcher l’affaire. Certain-e-s d’entre nous avaient déjà relevé ce putain de défi avant les premières rencontres Bash Back!, et certain-es d’entre nous ont grave représenté depuis, en se léchant les babines au son du mot « guerre » dans « guerre sociale ».Voici quelques-unes de nos notes.

    AU LIEU DE TROUVER UNE THÉORIE RETROUVONS-NOUS

    On pense que la survie, la riposte et tout niquer, ça devrait être la première étape ; obtenir de la nourriture, trouver un abri où vivre, chercher la bagarre, garder la classe, faire changer les gens de trottoir, fermer la gueule des hétéros, choper des hormones sans ordonnance, s’organiser en réseaux pour reverser les avantages de votre crime là où il faut, lister les noms de celleux qu’on doit défoncer, faire gaffe les un-e-s aux autres quand on bosse comme escorts, défoncer tou-te-s celleux qui nous barrent la route. En avoir activement rien à foutre, ça implique de commencer au coeur même du conflit : la vie quotidienne. Oublions la tradition éculée qui consiste à tenter de rencontrer des gens avec une flopée d’activistes, bien sagement, à enseigner aux pauvres queers ignorants et aux bon-ne-s citoyen-ne-s ce dont ielles ont vraiment besoin. L’idée c’est de faire ce qu’on veut dès le début – se donner les moyens de notre autonomie, par et pour nous-mêmes. Voici l’argument qui mettra tout le monde d’accord : est-ce que tu préfères pas être initié-e à l’anarchisme dans le feu de l’action en rejoignant un gang de queers criminel-le-s trop stylé-e-s qui font gaffe à toi, plutôt que des activistes à l’âme charitable ? Ouais, putain, c’est bien ce qu’on pensait.

    Former un crew, c’est faire scission ; c’est abandonner toutes ces conneries radicales de consolation, la rhétorique du « se sentir mieux », « rejoindre le milieu », « parler au coeur et à l’âme », qui obsèdent le reste de l’anarchisme. Apprendre à agir, ça veut dire se rassembler – tout niquer, à l’infini. Mais c’est semble-t-il toujours de nos divisions que naît notre rencontre avec des personnes qui nous correspondent un peu plus, en dehors du circuit anarchiste.

    Donc. Commence par trouver des queers bien vénères qui n’ont qu’une idée en tête : foutre le bordel – ou alors des queers bien cyniques qui en ont ras le bol de tout. Rien de plus facile – t’en as sûrement déjà pas mal parmi tes potes – mais j’imagine qu’il suffit pas de lever le menton et de dire : « Tiens, voilà, j’ai trouvé mon gang ! », en tout cas t’inquiète, c’est pas comme si c’était difficile à trouver, des queers impatient-e-s de prendre leur revanche sur le monde. On est nombreux-ses à se faire niquer constamment, et bien souvent la seule perspective réjouissante des gens, c’est leur prochaine thérapie de groupe. Arghhh. Il suffit de ça, d’être ces petit-e-s queers ingérables, et ça attire des gens venus de lieux inattendus.

    Apprenez quels sont les forces et les centres d’intérêts des un-e-s et des autres en traînant ensemble. Allez partout ensemble. Aux boums/sex parties, chaque semaine. Partagez vos trucs. Passer et s’octroyer du temps libre les un-e-s avec les autres, c’est peut-être l’élément le plus important pour commencer à se parler. S’encourager les un-e-s les autres et soutenir ses ami-e-s – petit à petit, vous allez gagner en aisance pour agir ensemble et répondre rapidement à vos besoins mutuels – seules quelques minutes séparent la parole de l’action. Se retrouver, ça a de l’allure, et ça renforce la sensation commune de nous en sortir face à ce monde. C’est cette affection mutuelle qui renforce notre confiance, qui nous enseigne comment formuler nos besoins et à avoir la rage qu’il faut pour les satisfaire. Nos liens nous mettent hors de la portée des gens qui veulent nous détourner les un-e-s des autres, aliéner nos besoins et nos désirs, en essayant de gérer, réguler et instrumentaliser notre haine envers tout. Ce lien nous permet au contraire de construire notre propre pouvoir, notre propre autonomie.

    La logique de gang est différente de la logique du quotidien. Tu commences à acquérir une vision aiguisée de ton environnement, une capacité à en tirer profit pour toi et les tiens. Construire votre pouvoir est une fin en soi, qui se justifie d’elle-même – toutes les autres alternatives politiques de merde qu’on nous propose deviennent agaçantes, et si on s’y colle, ennuyeuses à mourir. Promouvoir en commun la capacité à répondre à nos besoins et à définir les termes du conflit embrouillera toujours nos ennemi-e-s, et leur confusion ne peut que nous donner des forces. Des queers au rire de hyènes. Si tu détestes tout, nique tout. Rends coup pour coup, fais-leur mal. Souligner que les gens te kiffent quand tu leur apportes de la force et que tu décroches une victoire, c’est apparemment une hérésie anarchiste, mais quoi de pluuuus inutile. Si tu fais assez de vagues ielles viendront à toi, ou beaucoup mieux, ielles t’imiteront. Les « groupes affinitaires » rêvent de pouvoir être aussi sexy que nous.

    PRENONS L’ESPACE (ET TOUT LE RESTE)

    La règle du jeu : l’hostilité déclarée. Quand c’est toi et tes potes, une personne suffit pour semer l’agitation. Ces premières nuits dehors seront difficiles, douloureuses et incertaines. Et puis ça devient intéressant. Le moment venu, il suffit de se promener en groupes – les ennuis, vous les trouverez à coup sûr. Aucun affront ne doit rester sans réponse, en resserrant de plus en plus vos liens, en entrant dans le conflit qui n’offre aucune échappatoire – et ce n’est pas sa seule vertu. C’est peut-être tendu pour toi, peut-être que ça te vénère, que ça te fait péter les plombs, mais en tout cas votre crew va grandir, vos liens vont évoluer, et vous serez (encore plus) prêt-e-s à tout.

    Les multiples manières dont vous occuperez l’espace font partie de cette règle du jeu – dans votre environnement et les un-e-s par rapport aux autres. On n’a pas la prétention de connaître votre situation ou la meilleure façon pour vous d’attaquer ; ce qu’on vous propose, ce sont donc quelques éléments clés qui s’inspirent de notre expérience, et qui pourraient selon nous vous être utiles aussi... Donc avant de continuer ce texte, sachez qu’on laisse nos sensations et notre intuition nous guider dans notre réaction face à une situation. On avait des plans, des projets et des idées, mais on ne savait pas où ça nous mènerait, comment ça allait tourner : et vous non plus. Tout ce qui arrive dépend du contexte, soyez prêt-e-s à vous adapter.

    Cela dit, voilà ce qui nous semble utile dans n’importe quel contexte : les progressistes, ça existe, ielles ont de l’argent et aimeraient souvent que notre précieux capital social donne une légitimité à leurs entreprises, socialement ou en termes de business – ou le plus souvent, les deux. Alors n’hésitez pas à les retourner, les exploiter, les corrompre, les utiliser et à vous en débarrasser afin d’attaquer leur domination et d’asseoir votre pouvoir.

    Les squats se montrent incroyablement utiles – comme abris, cachettes, ou espace libre, tout simplement. Si un endroit se fait connaître pour sa capacité à accueillir des personnes queers/trans en toute sécurité, l’espace peut vite se remplir – à un moment donné une des maisons qu’on avait ouvertes hébergeait jusqu’à 40 personnes. On mettait juste des tapis de sol par terre, ça recouvrait tout le sol. Et bien souvent, on se retrouve sans abri ou presque, ou à peine capables de payer le loyer, ou on connaît d’autres personnes queers/trans confrontées à des situations abusives – c’est bien de pouvoir les en sortir (et nous en sortir aussi). La création d’un réseau d’espaces stratégique dans votre ville, ça ouvre des possibilités de ouf, et si un espace se fait perquisitionner, fermer, expulser ou autre, vous saurez déjà où aller. Même si un espace ne vous sert pas, il pourrait servir à quelqu’un-e d’autre. Avec un peu d’entraînement, c’est assez facile de visiter une maison (par une nuit mémorable, on a visité 12 maisons vides avant le lever du soleil, sans aucune préparation), et une fois que vous avez ouvert un espace, vous pouvez faire tourner l’info à celleux qui en ont besoin : où et comment entrer.

    Et aussi, les clés à percussion. Elles méritent bien un paragraphe à elles seules. Si ça ne vous dit rien, renseignez-vous. Elles vous donnent un accès très rapide à beaucoup d’endroits.

    La façon dont votre crew attaque aura sûrement son caractère propre et distinct, en fonction des différentes stratégies à l’oeuvre – il existe de nombreuses façons de mettre en pratique/étendre/vivre la guerre. En voici quelques exemples, reflets de notre expérience et de nos vies, et non d’un quelconque programme. Pour simplifier, on pourrait dire qu’il existe différentes approches : certaines ouvertes et visibles, et d’autres formes fermées et obscures. Là encore, pour mieux déterminer ce qui est adapté à votre situation, laissez-vous guider par le dialogue, par l’expérience et l’expérimentation, par l’intuition et ce que vous sentez qui pourrait fonctionner.

    Les liens affirmés, ouverts, sont visibles. Promenez-vous en groupe, cherchez la bagarre, écrivez sur les murs, niquez tout – et surtout les gens. Attaquez-les, faites des teufs, dites bien haut et fort que les flics puent, t’as vu, et que les hétéros cis sont ennuyeux à mourir ; embarquez les gens dans le conflit, entre sexe en squats et boums sauvages. Soyez grandes gueules, désagréables et relous. Qu’on vous capte de loin – vous pouvez adopter un style vestimentaire commun, ou pas. Un signe particulier pour indiquer vos intentions, ça peut servir – les membres d’un groupe ont ainsi attaché un bandana rose par-dessus un bandana noir pour signaler clairement leur volonté de (dé)monter quelqu’un. Entrez dans les magasins par groupes de 10, remplissez vos sacs, foutez le bordel et cassez-vous, régnez sur les boîtes et les bars. Prenez le contrôle des coins de rue, ou de tout autre lieu où les gens peuvent encore se rassembler près de vous ; faites valoir votre espace comme vous le sentez. Déchaînez-vous, gratuitement – faites tout ce qui vous fait monter l’adrénaline. Faites l’expérience d’une présence construite au fil du temps. Quand d’autres vous captent, encouragez-les à créer leur propre groupe et soutenez les autres bandes.

    Les formes fermées sont beaucoup plus obtues et opaques. Cela ne réduit en rien le degré de conflit, crime, corruption et tout ce genre de kif, ni votre capacité à vous allier à d’autres pour agir contre un ennemi commun, c’est juste des formes plus silencieuses, et très différentes en termes de distinctions entre intérieur et extérieur au collectif. Bien sûr, cela implique de ne parler de vos trucs criminels qu’en privé, d’apprendre à communiquer par signes discrets, de beaucoup mieux planifier les attaques et de bien fixer les objectifs. En général, cela veut dire deux choses : d’une part, on pourra vous prendre pour le typique groupe de transpédégouines qui traîne tout le temps ensemble ; personne n’aura la moindre idée de ce que vous manigancez loin des regards. D’autre part, nul besoin qu’ils captent qu’ils sont encerclés par une bande de transpédégouines vénères qui complote contre eux. Nos ennemis savent toujours dévoiler les stratégies dont nous avons précisément besoin pour les détruire, quand on sait les écouter.

    Nous disposons d’une des meilleures tactiques au monde : la puissance secrète du placard. Dont nous avons usé et abusé. Le monde entier pourra vous prendre pour des êtres isolés, normatifs, hétéros cis, et personne ne le verra jamais venir – ayez l’air d’une grosse pédale après ça et les flics ne trouveront plus que vous correspondez au signalement.

    Le mélange des formules ouvertes et fermées a créé une puissante dynamique de conflit. Notre versatilité nous a permis de nous couler dans des situations et des approches différentes, de prendre n’importe quelle forme pour abuser nos ennemis et nous a permis de rester sur l’offensive. Pour l’infiltration, le chantage, les attaques ciblées contre des violeurs et des proxénètes, et les actions collectives pour dévaliser nos employeurs, la forme fermée a été indispensable. Pour le conflit ouvert, l’intimidation, la création d’espace, pour donner envie à d’autres petit-e-s transpédégouines en colère de créer des liens et de prendre les armes, la forme ouverte a été essentielle. Passer d’une forme à l’autre devrait être aussi rapide que de traverser une rue.

    Sur la question des meneur-euse-s : beaucoup de gangs donnent ces rôles. Evidemment, on a trouvé ça inutile : quel meilleur moyen que les voies hiérarchiques pour une personne qui tenterait de « calmer » ou de rallier tout le monde au service de son intérêt personnel. Donc ouais, laisse tomber. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne peut pas y avoir différents degrés d’« intégration » au sein de votre crew – mais ça devrait se faire sur la base de qui est plus à l’aise avec quoi. Cela pose principalement problème pour les formules plus ouvertes ; certaines personnes sont opé, mais à des degrés différents. Il arrive qu’on fasse collectivement plus ou moins confiance à certaines personnes plutôt qu’à d’autres. Vous pouvez faire confiance à certaines, mais c’est autre chose d’agir ensemble – surtout sur les trucs risqués. C’est important que tout le monde sache que tout le monde n’a pas besoin de tout savoir. Aussi, certaines personnes sont de gauche, aucun besoin de les tenir au jus, à moins que les fanfaronnades transpédégouines les fassent kiffer – dans ce cas (haussement d’épaules), peut-être qu’ils ont du potentiel.

    PARTAGEZ LE DON DE VOTRE VIOLENCE

    « Amitié, vengeance et mépris : voilà les seuls guides qui méritent d’être suivis »

    Lorsque tu as participé à une émeute/un black bloc/toute autre situation où toi et tout-e-s celleux autour de vous sont prêt-e-s à tout niquer, tu as ressenti cette attraction folle pour la destruction de tout ce qui nous fait gerber. Tu as senti que le seul acte qui vaille la peine dans ces moments-là, c’est la démultiplication de ce sentiment de puissance. Cette sensation, c’est le sentiment de l’appartenance au gang – la relation étroite qui te lie à tes potes, pour devenir ton contexte quotidien, ton mode de vie et d’expression. Les liens d’amitié ne suivent aucun programme ; les objectifs deviennent évidents, à la mesure de la force et de la dépravation que vous êtes capables de totaliser. Les un-e-s avec les autres, avec tout ce qui croise votre route – partagez le don de votre violence.

    Notre « théorie » est très simple : nous préserver et faire éclater la guerre sociale par la mise en commun de la violence – afin de démultiplier et non pas d’épuiser la terreur que nous inspirons. Construire une force sociale matérielle en vivant ensemble, en nourrissant des relations entre nous qui renforcent notre autonomie et détruisent la leur. Cherchez la bagarre, anticipez les agressions ; attaquez et ripostez et trouvez d’autres personnes qui se battent déjà et tissez des liens entre vous – la « scène anarchiste », en dehors des liens qui nous unissent déjà, est surtout une coquille vide qu’on se doit d’ignorer. Ce n’est pas comme si nos ennemis étaient difficiles à trouver, ni nos complices. Bien sûr, notre objectif en t’écrivant ces douces lignes, c’est la guerre sociale généralisée, alorrrrrs... rien ne reflète mieux notre désir qu’un énervement infini.

    On savait que c’était sa maison. On savait qu’il était là, à l’intérieur, et après une semaine d’observation, à le voir se traîner toutes les deux heures, sale et pitoyable, on savait qu’il était seul. C’était bien connu que ce sale violeur était une pourriture. Mais après avoir violé l’un-e des nôtres il y a quelques années, cette petite merde est allée s’en vanter. Il avait aussi baisé des gens après qu’ielles lui aient dit non et s’en était vanté un peu trop fort à ses potes : l’un-e de nous l’a entendu, parce que tu peux jamais savoir qui sont tes ami-e-s. Pour être honnête, on n’était même pas au courant qu’il était revenu en ville, mais bon, tant pis pour lui. On était assis-es dans une ruelle qui donnait sur la rue, à attendre que notre ami-e nous fasse signe si la voie était libre. Quand on a eu son feu vert, on a bougé – capuches et masques roses, on a été direct à sa porte d’entrée, pendant que deux d’entre nous rejoignaient la porte de derrière (t’imagines bien qu’il l’avait laissée ouverte) et genre on a niqué le verrou, ouvert la porte à coups de pied, on l’a coursé, pris entre deux feux alors qu’il hurlait comme un con, et on l’a assommé avec un morceau de contreplaqué. On l’a traîné jusqu’à l’arrière de la maison, bâillonné avec du gros scotch, ligoté à une chaise ; on a donné une batte à la personne survivante et on s’est bien marré-e-s alors qu’ielle lui niquait les genoux-ça n’a pris que deux coups, mais je crois pas qu’un hôpital pourra soigner ça. Ensuite on lui a fait quelques coupures au visage et quelqu’un-e lui a bombé la gueule et les yeux à la peinture rose fluo.

    Il y a des gens qui aiment se changer en message pour montrer la voie à suivre aux transpédégouines prolos. On préfère sauter les années d’anarcho-militantisme et passer direct au conflit ouvert – les gangbangs sur invit’ pourraient aider à accélérer les choses. Certain-e-s aiment dire tout ce qu’ielles vont faire, à la bombe sur les murs. Briser des os, ça fait mieux passer le message. Les « espaces safe » sont une pratique guerrière, sinon le concept n’a aucune valeur. Genre passer à l’offensive n’importe où. Rien à voir avec de la thérapie de groupe vite fait dans une salle du fond. Agir ensemble, les un-e-s avec les autres – contre toute cible qui se présente à nous.

    Rien ne fait aussi mal que de se faire karna par un client, et après une fois de trop, j’étais prêt-e à lâcher le travail du sexe – mais alors comment j’allais faire pour trouver des thunes ? Tous ces sales riches arrivistes, mariés-deux-enfants, avec leurs voitures et compagnie, connards prétentieux qui traitent les filles comme de la merde – je sais qu’ils détestent les travelos trop bruyant-e-s, sauf quand ils veulent me baiser, alors après avoir discuté avec quelques personnes on a eu une idée – du coup, tu vois, après quelques jours à comploter sur craigslist[1] j’allais enchaîner plus de travail le week-end, mais cette fois-ci ça ne s’est pas vraiment déroulé comme prévu – j’avais déjà dit à tout le monde où j’allais, alors quand il m’a fait entrer dans sa grosse baraque classe dans son beau quartier, j’ai laissé la porte ouverte, j’ai pris sa photo, et je lui ai mis un petit flingue contre la tempe. C’est là que toutes mes copines ont débarqué pour choper tout ce qui nous revenait – le client avait l’air désemparé, il savait qu’on pouvait le faire chanter donc il la fermait. Une fois qu’on avait tou-te-s fini, on l’a remercié d’avoir aidé une fille dans le besoin, on l’a cogné avec le flingue et laissé là à saigner. La fois suivante, on a carrément commencé par assommer le client. ILS ONT BEAUCOUP PLUS D’ARGENT QUAND C’EST TOI QUI DÉCIDE CE QUE TU MÉRITES DE PRENDRE, LOL!

    Ces « actions » deviendront banales, normales – et vous sentirez peut-être qu’il n’est pas très pertinent d’écrire un communiqué sur vos actes d’ultraviolence et de destruction queers. Tu connais beaucoup de gens capables de gérer face à un commando doué d’analyse ? Le fair-play, ça implique de jouer. Vends des trucs à tes ennemis – ensuite, un-e autre membre de ton crew peut les dépouiller de ce que tu venais de leur vendre. À répéter à l’infini. Téj les conducteurs de voitures de luxe, refourgue les pièces. Quand c’est le bordel – des flics concentrés au même endroit, des pannes de courant, des tempêtes, des incendies domestiques, n’importe – c’est le moment de se déchaîner – c’est peut-être l’occaz de les provoquer. Entrez par effraction dans un appart’ classe, faites la teuf et foutez-y le feu. Mettez un connard KO et laissez-le sur le palier, devant chez ses potes.

    On était trois à traîner pendant genre deux heures à faire du biz après une teuf, on se faisait plaisir à râler en coeur, quand un gros 4 x 4 blanc flambant neuf s’est arrêté à notre hauteur. Bon, on a toujours la classe, et là il veut savoir combien c’est, on lui demande, « tou-te-s ensemble ? », et là il fait « ouais », alors on monte dans sa voiture et genre y’avait un truc chez cet enfoiré dans sa manière de parler, je sais pas quoi, en tout cas on a su direct ce qu’on voulait faire de ce mec, on lui a mis le couteau sous la gorge et on l’a bien dépouillé, ensuite on lui a éclaté la tête sur le volant jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. Et bon, on avait une caisse gratos, donc c’est clair qu’on allait rouler jusqu’à vider le réservoir, non ?

    Les anarchistes ont cette fâcheuse tendance à éviter l’exercice du pouvoir – surtout parce que leur désir profond, c’est de rester inutiles – c’est lié aux intérêts de classe acquis et aux restes de libéralisme. La rébellion est un jeu. Pour nous, la faim grandit à mesure que notre situation s’aggrave. Je VEUX que tous les gros nazes qui détestent les queers nous provoquent. C’est parfois fatigant d’attendre patiemment, vaut mieux foutre le bordel en premier, parce qu’on les emmerde.Tu sens l’urgence et la fureur, t’as juste envie de faire exploser les tensions, de repousser les limites jusqu’au point de rupture, pour en rire en coeur et remettre ça. Et c’est là que ça devient kiffant. Battez-vous partout, restez à l’affût, resserrez les liens qui unissent votre crew.

    PAS DE CONCLUSION

    Quand on disait que BB! devait mourir pour renaître sous la forme d’un gang de rue super vénère, c’était du sérieux. C’est clair et net, dès le début, c’était ça l’idée.

    C’est ça que tous les anarcho-managers ont toujours voulu empêcher coûte que coûte, en se tordant les mains.

    Certain-e-s d’entre nous s’y sont déjà essayé-e-s, mais on n’a pas écrit de communiqués vu que tout ça était devenu normal. Bien sûr, ça ne veut pas dire pour autant qu’on va s’isoler tout d’un coup en crews et puis c’est tout, sans parler à personne d’autre : on traîne tout le temps avec n’importe qui. Mais vous vous rendrez peut-être compte que plus votre crew rendra la guerre visible, plus ça parlera à d’autres personnes inattendues ; l’excitation est le moyen de la guerre sociale généralisée.

    Et aussi, ne te prends pas pour le messie. Motive-toi et commence à récolter des thunes maintenant au cas où toi ou quelqu’un que tu connais se fasse arrêter. Tout le monde n’est pas à la page de l’anarcho-jargon, et même si certains mots méritent qu’on parte en guerre pour les défendre, la politique du langage reste surtout une préoccupation de la classe moyenne.

    Une dernière précision : pour nous « anarchiste », ça veut dire vivre en conflit avec le capital, et toutes les relations sociales qui en découlent. Jusqu’à la chute de la société de classe, tout ce que nous voulons, c’est la guerre éternelle.

    Si tu es encore occupé à jouer les managers anarcho-militants, que ce soit en mode progressiste ou dans sa version insurrectionnelle réac’ plus récente : va mourir.

    Pour en savoir plus :

    Vers la plus queer des insurrections; Vengeance 1-3; Interview avec les Guerrier-re-s de classe ; L’Insurrection qui vient; Cabal, Argot
    [2]; Catéchisme d’un révolutionnaire[3]; NotYr Cisterpress [Jsuis pas ta Cister]; Enemies We Know[4] [Ces ennemis que nous connaissons].

    Lisez moins, luttez plus.



    Notes

    1. Site de petites annonces.

    2. Comité invisible, La Fabrique, 2007.

    3. Texte anti-civilisation anonyme publié à Oakland en Californie sous forme de fanzine,

    4. Sergueï Netchaïev, 1868.

    5. Texte diffusé sous forme de fanzine par The Institute For Experimental Freedom, www.politicsisnotabanana.com



    * * * * * *



    COMMENT FAIRE, DANS TON CUL ?

    PAR GENDER MUTINY


    « Le désir de chier est également un désir quelconque »
    Bakounine


    [Note des traducteurs-rices : cette fausse citation de Bakounine, détournement de la conclusion de l’article « La réaction en Allemagne, fragment, par un Français » (publié en octobre 1842 sous le pseudonyme de Jules Elysard), « Le désir de la destruction est en même temps un désir créateur », annonce d’autres détournements en cascade. Le titre du texte rappelle ainsi l’article « Comment faire ? » paru en octobre 2001 dans Tiqqun 2, faisant lui-même référence à un traité de Lénine paru en 1902, Que faire ?, qui était déjà inspiré d’un roman dont il reprend le titre, publié en 1863 par un révolutionnaire russe, Nikolaï Tchernychevski.]


    On nous a volé nos anus, juste pour qu’ils deviennent rouages de leur machine odieuse qui produit le capital, l’exploitation et la famille. Réduit à ces fonctions biologiques, l’anus devient une forteresse, impénétrable, singulière, productive. Notre excrément même se voit attribué une valeur commerciale. Tant de nutriments par centimètre carré, la teneur moyenne en humidité, le coût de traitement.

    Pour rejeter la logique marchande de la merde, nous acceptons le devenir fleur de l’anus. Agréable, pénétrable, commun. L’anus a cinq muscles ; la fleur, cinq pétales ; le poing, cinq doigts. L’anus est la connexion sexuelle commune, une clôture dans les terres communes du plaisir. On refuse la médiation de nos anus sous la logique du biopouvoir, pour dévoiler à la place leur rébellion par l’élaboration d’une logique du scato. Pour ainsi dire, les anus de notre révolte sont scatologiques plutôt que biologiques.

    La grève humaine fleurit à chaque point de rupture ; c’est-à-dire à chaque point d’apparition. Parlons de la rupture anale, l’apparition de la matière fécale de nos corps. La grève scatologique humaine ne produira rien dans l’acte de la défécation ; tout en ne laissant rien d’autre qu’un rectum vide. Dans l’espace de ce vide, nous devenons des singularités quelconques. Nos résidus, libérés de la logique du capital, prennent des lignes de vol en direction de la police, tandis que nos anus, plus seulement annexes de chair sur une machine de circulation de nitrate, sont remplis d’objets trouvés. Nos anus deviennent... du foutre en paillettes, de la merde, du quelconque.

    Merde partout.

    Le comité du trou du cul du Pentagone.
     
    Unisex et allpower aiment ça.
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