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JULES JOUY: Poèmes et chansons

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Marc poïk, 24 Juin 2017.

  1. Marc poïk
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    JULES JOUY

    Poèmes et chansons tirés de

    "Chansons de bataille" , Marpon et Flammarion, 1889

    "Chansons de l'année", Bourbier et Lamoureux, 1888



    Sommaire

    . Les Irresponsables
    . les Responsables
    . La Marseillaise des prostituées
    . Le Gratte-cul
    . Victime du travail
    . L'Évangile du patron
    . Ballade des vieux almanachs
    . Tout à l'égout !
    . Louise Michel
    . La Carmagnole des corbeaux . Haut-le-coeur
    . Le charretier et le cheval
    . Les fonctionnaires
    . Les ouvriers de France
    . La question des chiens
    . La Bastille
    . La Chanson de la grève
    . Le chant de guerre des sergots
    . Le coucher de soleil
    . Monsieur Ferrouillat . L'Abbé Roussel
    . Les Accapareurs
    . Les Accaparés
    . Les Forains
    . Le Temps des crises
    . Les Opportunistes et les Intransigeants
    . Le Réveillon des gueux
    . La mélinite
    . La Société Protectrice des Animaux . Pour la Grève
    . Poisson d'Avril
    . Les Anti-propriétaires
    . Le tombeau des fusillés
    . La question de l'eau
    . La Marseillaise de la jeunesse
    . La «Veuve»
    . V'la-z-un gendarme !
    . La liberté du travail
    . Les anarchistes de Chicago
    . Le meilleur président















    LES IRRESPONSABLES
    A Léopold LACOUR,
    Nombreux comme les grains des sables,
    Le nom du maître sur la peau,
    Regardez les irresponsables
    Passer, là-bas, comme un troupeau.
    Dans cette foule, pêle-mêle,
    Le bœuf mugit pour son boucher,
    Le mouton naïf saute et bêle
    Pour le fer qui va l'écorcher.
    Marche, bon troupeau, marche !
    Au césarisme sers de marche.
    Pauvres bestiaux, sans le savoir.
    Allez, sans entendre et sans voir,
    A l'abattoir! (Bis.)
    Va, bœuf stupide, avance et beugle,
    Sans voir l'arme dans le fourreau.
    Va-t'en vers la mort, pauvre aveugle,
    Conduit par le chien du bourreau.
    Vieux laboureur de la prairie,
    Ami paisible du semeur,
    Là-bas, ce n'est pas l'écurie,
    Mais le marteau de l'assommeur.
    Marche, bon troupeau, marche !
    Au césarisme sers de marche.
    Pauvres bestiaux, sans le savoir.
    Allez, sans entendre et sans voir,
    A l'abattoir! (Bis.)
    Marche, naïf mouton champêtre ;
    Va donner ton sang au pressoir.
    Les prés sanglants où tu vas paître,
    C'est le pavé de l'échaudoir,
    Saute et bêle, plein d'allégresse ;
    Mais prends bien garde à ton berger ;
    Car si ton maître te caresse,
    C'est afin de mieux te manger.
    Marche, bon troupeau, marche !
    Au césarisme sers de marche.
    Pauvres bestiaux, sans le savoir.
    Allez, sans entendre et sans voir,
    A l'abattoir! (Bis.)
    Avancez tous, gogos stupides,
    Bêtes en quête d'un licou.
    Sous l'aiguillon, allez, rapides,
    A l'égorgeur tendre le cou.
    Mais ne te plains plus, quand tu bouges.
    Peuple qui fais des dictateurs,
    Si ton César a les mains rouges
    Du sang de tous ses électeurs !
    Marche, bon troupeau, marche !
    Au césarisme sers de marche.
    Pauvres bestiaux, sans le savoir.
    Allez, sans entendre et sans voir,
    A l'abattoir! (Bis.)
    17 avril 1888. LES RESPONSABLES
    Les députés renégats,
    Les vendus, ex-pamphlétaires,
    Les morveux et les gagas,
    Prenez garde aux prolétaires !
    On les exécutera,
    Messieurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Courtisans des ouvriers,
    Ralliés aux militaires,
    Tous, sur le volet triés,
    Vos corps fumeront nos terres.
    On les exécutera,
    Messieurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Parjure prônant si fort
    les soldats autoritaires,
    Ton pantalon, Rochefort,
    Verra de drôles d'affaires.
    On les exécutera,
    Messieurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Piètre avocat fanfaron
    Qui rêves d'un tas d' ministéres,
    Laguerr', nos fusils t'feront
    L'effet de plusieurs clystères.
    On les exécutera,
    Messieurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Quand, à Vergoin sans cercueil,
    Les herb's tiendront lieu de suaires,
    Mademoisell' de Sombreuil
    D'son sang pourra boir' deux verres.
    On les exécutera,
    Messieurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Laur, Mich'lin, Le Hérissé,
    Infidèles mandataires.
    Auront le front hérissé,
    Quand s'réveill'ront les colères,
    On les exécutera,
    Mcssicurs les plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    Tas de bandits triomphants,
    Profitez d'vos jours prospères ;
    Car, tôt ou tard, les enfants
    Feront ce qu'ont fait leurs pères.
    On les exécutera
    Messieurs les Plébiscitaires ;
    On les exécutera,
    Quand la Rouge reviendra.
    18 avril 1888



    LA MARSEILLAISE DES PROSTITUÉES
    Pauvres filles dont les coeurs saignent
    D'amour pour le nouveau César,
    Que les circonstances contraignent
    A fermer, quelques jours, bazar (bis)
    Consacrons, humbles volontaires,
    Au triomphe de Boulanger,
    Le repos, helas ! passager,
    Auquel nous forcent les affaires.
    Aux armes ! les catins! Formez vos bataillons !
    Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons
    Dans les dangers et les bagarres,
    Sans peur on nous verra courir.
    Pour le Bonaparte des gares,
    Nous saurons combattre et mourir (bis) !
    Vergoin, protégeant nos derrières,
    En voyant ce sang couler,
    Sur la pince viendra gueuler :
    «Horreur ! On égorge nos frères !
    Aux armes ! lLes catins ! Formez vos bataillons !
    Marchons (bis)! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
    Boulange, entrant dans la carrière,
    Quand l'ennemi sera battu,
    Retrouvera, dans la poussière.
    les traces de notre vertu (bis) !
    Trônant dans son apothéose,
    Il ne pourra pas contester,
    Que nous avons, sans hésiter,
    Versé notrc sang pour la cause.
    Aux armes ! les catins ! Formez vos bataillons !
    Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
    Tribuns, écrivains, bandagistes,
    Sous notre toit hospitalier,
    Que, désormais, les boulangistes
    Entrent, sans bourse délier (bis) !
    Mais, sous peine de forfaiture,
    Égorgeons tous les scélérats
    Qui viennent, jusque dans nos draps,
    Crier: «A bas la dictature !»
    Aux armes ! les catins! Formez vos bataillonsl
    Marchons (bis) ! qu'un sang impur abreuve nos sillons !
    21 avril 1888 LE GRATTE-CUL
    La seule fleur qui vous convienne,
    Ligeulards, qu'il vous en souvienne,
    Ce n'est pas le sanglant oeillet,
    Emblème des farouches meutes
    Qu'on voit bondir les jours d'émeutes
    Sous l'ardent soleil de juillet.
    Ce qu'il vous faut, c'est la fleur bête
    Des valets aimant la courbette
    Et léchant le ... dos au patron;
    La fleur des villes multitudes
    Prêtes aux lâches servitudes,
    Adoratrices d'un étron;
    Croyez moi, bêtes moutonnières,
    Enlevez, de vos boutonnières,
    Où devrait briller un écu,
    Cette couleur républicaine:
    La seule fleur qui vous convienne,
    Courtisans, c'est le gratte-cul!

    29 novembre 1888



    VICTIME DU TRAVAIL



    A mon ami A. Oskolowicz


    Sur un toit que le soleil brûle,
    Des moineaux effrayant le vol,
    Le couvreur, comme un somnambule,
    Marche, à soixante pieds du sol.
    Tout à coup son cerveau s'embrase;
    Il chancelle, crève un vitrail;
    En bas son pauvre corps s'écrase:
    Victime du travail.
    Sur la voie où vient le train-poste,
    Un enfant marche; l'aiguilleur,
    Sans hésiter, quittant son poste,
    Le sauve et tombe au champ d'honneur.
    La machine brûlant l'espace,
    L'accroche et l'étend sur le rail...
    Comme un tonnerre le train passe:
    Victime du travail.
    Esclave couché sous la terre,
    Mort vivant creusant son tombeau,
    Le mineur, héros solitaire,
    Pioche, à son côté de son flambeau.
    Tout à coup, ébranlant la mine,
    Le grisou, sombre épouvantail,
    Vient par derrière et l'assassine:
    Victime du travail.
    Pauvres débris sans nécropole,
    Noirs restes d'un peuple martyr,
    Le bourgeois grade son obole
    Pour les victimes du plaisir.
    Devant ces morts-là, la Fortune
    Passe, agitant son éventail:
    "Pourquoi s'affliger?... ce n'est qu'une
    Victime du travail!..."
    Héros inconnus de l'usine,
    Pauvres broyés de l'atelier,
    Humbles étouffés de la mine,
    On parle de vous au foyer.
    Laissez l'ignoble bourgeoisie,
    Pour ses morts dresser un portail.
    Le vrai peuple vous glorifie,
    Victimes du travail !
    7 juin 1887
    L'ÉVANGILE DU PATRON
    (Extrait des Cantiques du Capital, par M. Tolain)
    Air : Jamais tu n'en pourras trop faire.
    A mon ami Corréard
    Honnête ouvrier de fabriques,
    Sois toujours humble et toujours bon;
    Le travailleur mange des briques;
    Le patron suce du bonbon.
    Pour l'aimer, pour le satisfaire,
    Redouble d'efforts empressés:
    bis:
    Jamais tu n'en pourras trop faire
    Tu n'en feras jamais assez!
    Pauvre ouvrier en redingote,
    Que l'État traite en vrai bourreau,
    Pour ne pas que l'on te dégote,
    Trime pour ton chef de bureau.
    Par son travail du ministère,
    Le pauvre homme a les reins cassés
    bis:
    Jamais tu n'en pourras trop faire,
    Tu n'en feras jamais assez !
    Toi qui déjeune sans vaisselle,
    Avec du pain noir pour gâteau,
    Dans la pleine ou sur le coteau.
    Bon moissonneur, pousse une selle,
    Ton maître y trouve son affaire:
    Ses terrains en sont engraissés:
    bis
    Jamais tu n'en pourras trop faire,
    Tu n'en feras jamais assez !


    20 décembre 1886.



    BALLADE DES VIEUX ALMANACHS
    Chanson de fin d'année
    A Jean Salis
    Mais où sont les neiges d'antan ?
    François Villon
    Où tombent-elles, les années
    Que, sur terre, sème le Temps?...
    Où s'en vont les roses fanées,
    Les automnes et les printemps?.,.
    Où s'envolent les feuilles sèches,
    Les billets bleus des anciens krachs?...
    Crânes chauves, où sont vos mèches ?...
    Mais où sont les vieux almanachs ?...
    Où gisent, beauté délicate,
    Tes jolis yeux, ton petit nez ?...
    Où sont les pieds des culs-de-jatte ?...
    Les têtes des guillotinès ?...
    Gros éléphants morts centenaires,
    Où sont vos trompes, vos cornacs ?...
    Dieux déchus, où sont vos tonnerres ?...
    Mais où sont les vieux almanachs ?
    Petit Thiers, où sont tes lunettes ?....
    Bonaparte, où sont tes chapeaux ?...
    Matelots, où sont vos dunettes ?...
    Soldats, où gisent vos drapeaux?...
    Gourmands défunts, où sont vos tripes ?...
    Fumeurs, où sont-ils vos tabacs,
    Vos cigarettes et vos pipes ?...
    Mais où sont les vieux almenachs ?...
    Ici-bas, tout lasse et tout passe,
    La mer, la rue ou la forêt,
    Comme l'étoile dans l'espace,
    Un siècle file et disparaît.
    Ouvriers, généraux, évèques,
    Caron, nous irons, sur tes bacs,
    Dans l'oubli des calendes grecques.
    Rejoindre les vieux almanachs.
    31 décembre 1888 TOUT A L'ÉGOUT !
    A Édouard Norès
    «Tout à l'égout !» c'est la devise
    De l'éternel Monsieur Alphand.
    C'est là le but auquel il vise
    Et que, sans répit, il défend.
    Brodant à l'envi sur ce thème,
    Il dépense tout son bagout,
    Pour faire adopter son système :
    Tout à l'égout !
    Ce système simple, j'avoue
    Que j'en suis assez partisan :
    Notre époque, à l'égout, se voue ;
    C'est le Panthéon d'à présent.
    Notre temps trouve à l'infamie
    Un irrésistible ragout.
    L'infection est son amie :
    Tout à l'égout !
    A l'égout ! l'impeccable juge,
    L'inattaquable magistrat,
    Offrant sa robe pour refuge
    A la terreur d'un scélérat
    L'ex-président de République,
    A l'Élysée, en vrai grigou,
    Faisant de l'usure publique,
    Tout à l'égout !
    A l'égout ! toutes ces crapules,
    Du peuple hypocrites amis;
    Élus, reniant, sans scrupules,
    Ce que, jadis, ils ont promis !
    A l'égout ! ce monde fossile,
    Du mort ayant déjà le goût,
    Traînant sa vieillesse imbecile :
    Tout à l'égout!
    Un jour l'orage populaire
    Viendra fondre sur les pavés.
    Par les bras du peuple en colère,
    Tous les faubourgs seront lavés,
    Poussant des biceps et du buste,
    Il enverra, plein de degoût,
    D'un seul coup de balai robuste,
    Tout à l'égout !
    24 janvier 1888



    LOUISE MICHEL
    A Louis Montégut
    Louise, c'est l'impersonnelle
    Image du renoncement.
    Le «moi» n'existe plus en elle ;
    Son être est tout au dévouement.
    Pour ce cœur vaste et secourable,
    Ivre de solidarité,
    Le seul air qui soit respirable,
    C'est l'amour de l'Humanité.
    On la condamne: elle défie
    Son juge, féroce et pourri.
    Qu'importe, à qui se sacrifie
    Le poteau noir de Satory?
    A ses bourreaux, près de la tombe,
    Elle parle fraternité.
    Que lui fait la mort ? Elle tombe,
    Pour l'amour de l'Humanité.
    On la déporte: Elle ne souffre
    Que pour ceux, près d'elle blottis :
    Combien doit pleurer, dans ce gouffre,
    Le père, éloigné des petits !
    Captive auguste, elle ne pense,
    Qu'aux frères en captivité.
    Leurs blessures, elle les panse,
    Pour l'amour de l'Humanité.
    On l'amnistie : elle se lève
    Et revient, le front calme et doux.
    Grave et lente, sa voix s'élève
    Et son cœur parle parmi nous.
    De son repos faisant litière,
    Bravant le pouvoir irrité,
    Elle se donne tout entière,
    Pour l'amour de l'Humanité.
    On l'emprisonne: Comme au bagne,
    Elle règne par la douceur,
    La proxénète est sa compagne ;
    La prostituée est sa sœur ;
    De la voleuse elle est complice ;
    Aux froides sœurs de charité
    Elle parle de la Justice,
    Pour l'amour de l'Humanité.
    Une brute, sur elle tire
    (Bien mieux qu'Aubertin sur Ferry)
    Mais, loin de poser au martyre,
    Elle s'arrête, puis sourit:
    «C'est à moi ! Qu'on me l'abandonne !»
    Dit-elle, «qu'il soit acquitté !
    Il s'est trompé ; je lui pardonne,
    Pour l'amour de l'Humanité.»
    Plus d'un la traite, en vrai Jocrisse,
    D'«hystérique», journellement.
    Crétins ! folle de sacrifice !
    Hystérique de dévouement !
    Écrivains aux longues-oreilles,
    Jadis, Plutarque eût souhaité
    Beaucoup d'héroïnes pareilles,
    Pour l'honneur de l'Humanité !
    26 janvier 1888.



    HAUT-LE-CŒUR
    A Clovis Hugues.
    Air : On les guillotinera. (A. Potney)
    «—Ma concierge sait cela.»
    (Paroles de Clovis Hugues dans la discussion Wilson à la Chambre).
    Parlement vil et traqueur,
    Qui protèges les canailles,
    La France a des haut-le-cœur ;
    Faudra bien que tu t'en ailles.
    Refrain :
    On les déménagera
    Messieurs les parlementaires ;
    On les déménagera
    Et le peuple applaudira.
    Sur nos députés pourris.
    Leurs parjures et leurs fugues,
    Tout le monde est de l'avis
    D'la «concierge à Clovis Hugues.»
    (Au refrain.)
    Modérés ou radicaux,
    Se disant socialistes,
    Tous ne sont que des fourneaux,
    Des traîtres ou des fumistes.
    (Au refrain.)
    Soumis et fermant les yeux,
    lls tendent tous leurs derrières
    Aux coups de pied furieux
    De Wilson et de Fallières.
    (Au refrain,)
    Pour vomir ces scélérats
    Faut un remède énergique.
    Par le haut ou par le bas
    On nettoiera la boutique.
    On les déménagera,
    Messieurs les parlementaires ;
    On les déménagera
    Et le peuple applaudira !
    5 février 1888. LA CARMAGNOLE DES CORBEAUX






    A Philippe Gilles
    Noirs dans la neige les corbeaux (Bis.)
    Attendent les morts sans tombeaux (Bis.)
    En cercle se pressant
    lls tournent croassant :
    «— De partout à la ronde
    Vive le son ! (Bis.)
    La guerre approche et gronde.
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole
    Vive le son ! (Bis.)
    Dansons la Carmagnole !
    Vive le son
    Du canon !
    Les coteaux auront au beau temps (Bis.)
    Moins de fleurs que de combattants (Bis.)
    D'un sang jeune empourprés
    Pour herbes les grands prés
    Auront des baïonnettes
    Vive le son ! (Bis.)
    Adieu les alouettes !
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole !
    Etc., etc.
    Les bois par les obus brisés (Bis.)
    Seront sans oiseaux sens baisers (Bis)
    Où l'amour roucoulait
    Passera le boulet.
    Sous les feuiles nouvelles,
    Vive le son ! (Bis.)
    Jailliront des cervelles !
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole !
    Etc., etc.
    Dès l'aube, à l'abri des combats (Bis.)
    Dans l'azur, loin des cris d'en bas (Bis.)
    Au ciel formant des ronds,
    Corbeaux, nous planerons.
    Sans craindre la mitraille,
    Vive le son ! (Bis.)
    Nous verrons la bataille,
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole !
    Etc., etc.
    Puis, le soir, lorsque les prés verts, (Bis.)
    Dc cadavres seront couverts, (Bis.)
    Graves, nous attendrons
    L'ombre et nous descendrons
    Sur le champ solitaire,
    Vive le son ! (Bis.)
    Manger les morts, par terre,
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole !
    Etc., etc
    Nous leur mangerons, tout joyeux, (Bis.)
    Le ventre, la tête et Ies yeux. (Bis.)
    Corbeaux, tenons-nous préts
    Pour le temps des cyprès.
    Au loin, l'horizon bouge ;
    Vive le son ! (Bis.)
    Voici le Printemps Rouge!
    Vive le son
    Du canon !
    Dansons la Carmagnole !
    Vive le son! (Bis.)
    Dansons la Carmagnole !
    Vive le son
    Du canon !»
    8 février 1885.



    LE CHARRETIER ET LE CHEVAL
    A Armand Masson
    Charretier brutal et féroce
    Qui tapes sur ta maigre rosse,
    Au lieu de lui faire du mal,
    Aime plutôt l'humble animal.
    Les mêmes tâches sont les vôtres ;
    Tous deux, sans répit, pour les autres,
    Vous travaillez dans le brancard :
    Viande à patron, viande à Macquart.
    Oui, pour ton cheval, sois plus tendre ;
    Vous êtes faits pour vous entendre.
    Lui, la rue est son atelier ;
    Ta blouse, à toi, c'est ton collier.
    Du même cuir on vous harnache ;
    Du fardier où l'on vous attache,
    Vous haletez dans le brancard :
    Viande à patron, viande à Macquart.
    Pendant votre triste existence,
    Tous deux, vous trimez d'importance.
    C'est ton compagnon, ton copain
    Et son avoine vaut ton pain.
    Tes cheveux, comme sa crinière,
    Blanchissent en la même ornière.
    Vous vieillissez dans le brancard :
    Viande à patron, viande à Macquart.
    Quand vous succombez à la tâche,
    Sous les yeux de la foule lâche,
    Vos corps, de misère crevés,
    Fraternisent sur les pavés.
    On vous decoupe, ou l'on vous scie :
    L'équarrissage, ou l'autopsie,
    Quand vous tombez dans le brancard :
    Viande à patron, viande à Macquart.
    6 mars 1888 LES FONCTIONNAIRES
    A Adolphe Bonnet,
    «Sans sortir de la métropole, il est facile de constater combien le fonctionnariat s'est developpé et se développe de jour en jour, avec ses exigences, son autoritarisme mesquin, son impertinence aussi traditionnelle que son inutilité, dans la plupart des cas.»
    John Labusquière, Cri du Peuple d'hier).

    Monsieur, avant de se coucher,
    A la lueur d'une chandelle,
    Féroce, est en train de chercher
    L'insecte, au bois de lit fidèle.
    Le fatal soufflet, braqué sur
    Les coins, refuges ordinaires,
    Il massacre, d'un coup d'œil sûr,
    Des masses de fonctionnaires.
    Madame, montrant ses appas,
    Examine, pleine d'astuce,
    Son corps blanc, où prend son repas,
    Cynique, une invisible puce.
    Elle inspecte chaque côté
    Avec des airs peu débonnaires.
    La coquette, sur sa beauté,
    Fait la chasse aux fonctionnaires.
    Bébé, dans ses beaux cheveux blonds,
    Passe sa main douce et se gratte.
    D'insaisissables bataillons
    Marchent sur sa peau délicate.
    Le môme, inquiet et nerveux,
    Se plaint de ses «pensionnaires».
    Dans l'épaisseur de ses cheveux,
    S'engraissent des fonctionnaires.
    11 février 1888.



    LES OUVRIERS DE FRANCE
    Air des: Pioupious d'Auvergne
    A Jules Joffrin
    Maigres prolétaires,
    Modestes héros,
    Gare aux militaires !
    Aux «brav's généraux» !
    L'fusil, la giberne
    N'aim'nt pas les outils.
    L' peuple, à la caserne,
    N'eut jamais d'amis.
    Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes,
    Seuls, nous nous batt'rons ;
    Chassant les patrons,
    Dans les fournils, nous f'rons not' pain nous-mêmes
    Et, pour le manger,
    Nous nous pass'rons bien d' Boulanger,
    De mêm' qu'il se cabre
    D'vant les avocats,
    Le peuple, du sabre,
    N' fait non plus grand cas.
    Tout ça, ça jacasse.
    Sous différents noms ;
    Faut d'abord qu'on casse,
    La gueule aux canons.
    Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes,
    Seuls, nous nous batt'rons ;
    Chassant les patrons,
    Dans les fournils, nous f'rons not' pain nous-mêmes
    Et, pour le manger,
    Nous nous pass'rons bien d'Boulanger.
    Amants d' I'épaulette
    Et d' la corde au col,
    Sachez-le, la bête,
    Brisant son licol,
    Malgré les épates
    De Clermont-Ferrand,
    N'veut plus, pour ses pattes,
    D'maréchal-ferrant.
    Quand, dans la ru', nous descendrons, tout blêmes
    Seuls, nous nous batt'rons ;
    Chassant les patrons,
    Dans les fournils nous f'rons not' pain nous-mêmes
    Et, pour le manger,
    Nous nous pass'rons bien d'Boulanger.
    7 avril 1888. LA QUESTION DES CHIENS
    Opinion de Bibi
    A Toumine John
    M'sieu Loze, not' préfet d'police,
    Contre les cabots entre en lice.
    Il paraîtrait que tous les maux
    Nous vienn'nt de ces brav's animaux.
    J'dis qu'il a tort de fair' des niches
    A nos bons amis les caniches.
    Y' a qué'qu'un qu'offre plus d' danger :
    C'est l' brav'général Boulanger.
    Les chiens, errant à l'aventure,
    N'aspirent pas à la dictature.
    Quelque temps qu'il fass', chaud ou frais,
    lls ne voyag'nt pas à nos frais.
    Ils ont un' conduit' polissonne ;
    Mais, quoi, ça n' fait d'mal à personne.
    Y' a qué'qu'un qu'on d'vrait attacher :
    C'est l' brav' général Boulanger.
    «Les chiens mord'nt», dit-on ; c'est un' craque :
    I's n'mord'nt que c'lui qui les attaque,
    Et puis, i's sont très rigolos,
    Quand ils se dis'nt bonjour dans l'dos.
    Leur voix, à tort' on la critique :
    I's n'aboient pas d' la politique.
    Y' a qué'qu'un qu'on devrait mus'ler :
    C'est l'brav' général Boulanger.
    La polic' les pig' par derrière,
    Pour les conduire à la fourrière.
    D'vant la rousse, i's sont nos égaux,
    Car, leurs bêt's noir's c'est les sergots.
    Au lieu de conduire à la chaîne,
    Ces copains de la race humaine,
    Y' a qué'qu'un qu'on devrait piger :
    C'est l'braY' général Boulanger.
    De pitié j' sens mon cœur se fendre,
    Quant, comm' des bandits, j'les vois pendre.
    S' passant d' cour d'assis's et d' jurés,
    On les execut' sans curés.
    L' bourreau, sans tambour ni trompette,
    Leur-y serre la margoulette.
    Y' a qué'qu'un qu'on d'vrait nettoyer:
    C'est l' brav' général Boulanger.
    12 juillet 1888.



    LA BASTILLE
    Air de : La ronde du Veau d'or, (Faust)
    A Paulard.
    La Bastille est toujours debout !
    Sa grande ombre / S'étend, sombre, (Bis.)
    D'un bout du monde à l'autre bout
    Son nom infâme est l'Usine.
    Les exploiteurs confondus,
    Autour, dansent, éperdus,
    Conduits par l'âpre lésine,
    La ronde du Capital, (bis.)
    Et l'argent mène le bal,
    Mène le bal ;
    Et l'argent mène le bal !
    Mène le bal !
    La Bastille est toujours debout !
    Sa grande ombre / S'étend, sombre, (Bis.)
    D'un bout du monde à l'autre bout.
    Son nom féroce est l'Armée.
    Autour d'elle, l'arme en main,
    Les fléaux du genre humain
    Dansent, parmi la fumée,
    leur ronde, au rythme brutal, (bis.)
    Et la mort mène le bal,
    Mène le bal !
    Et la mort mène le bal !
    Mène le bal !
    la Bastille est toujours debout !
    Mais la ronde / Là bas, gronde (Bis.)
    D'un bout du monde à l'autre bout.
    Sinistres, les ventres vides,
    Au lointain, au nom du Droit,
    Farouches, montrent du doigt,
    A leurs exploiteurs livides,
    Le Waterloo social; (bis.)
    Bourgeois, gare au dernier bal !
    Au dernier bal !
    Bourgeois, gare au dernier bal !
    Au dernier bal !
    14 juillet 1888



    LA CHANSON DE LA GRÈVE
    Air: C'est ta poire !
    A Léopold Dauphin.
    Effrontés marchands de nègres,
    Bourgeois exploiteurs, patrons,
    Qui faites nos ventres maigres
    Pour que les vôtres soient ronds,
    Nous vous chanterons sans trève,
    A la barbe du sergot,
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    C'est la grèv, la grèv', la grève !
    C'est la grève qu'il nous faut !
    Nous qui trimons sans relâche,
    Ainsi que des animaux,
    Sans gagner, à notre tâche,
    De quoi nourrir les marmots ;
    Nous qui n'avons que la fève,
    Quand d'autres ont le gâteau,
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    C'est la grév', la grèv', la grève !
    C'est la grève qu'il nous faut !
    Au nez des capitalistes,
    Jetant nos outils brisés,
    Déclarons, socialistes,
    La guerre des bras croisés.
    Que la montagne, à la grève,
    Réponde, comme un écho:
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    C'est la grèv', la grèv', la grève !
    C'est la grève qu'il nous faut !
    Déshérités de la plaine
    Et de la rue, halte-là !
    Esclaves, la coupe est pleine ;
    Sur la terre brisons-la !
    Qu'un seul cri partout s'élève,
    De la ville ou du coteau :
    Oh l oh ! oh ! oh !
    C'est la grèv', la grèv', la grève !
    C'est la grèv' qu'il nous faut !
    8 août 1888. CHANT DE GUERRE DES SERGOTS
    Air: Le Midi bouge !
    A Maxime Xissonne
    En avant les sergots ! / Mieux qu'avec des flingots, (Bis.)
    Chargeons la foule !
    Dans tout Paris à seaux,
    Que le sang coule
    A même les ruisseaux !
    Cognons !
    Le drapeau bouge,
    Noir et rouge !
    Cognons !
    Rangés en rangs d'ognons !
    La Marianne est là ! Frappons-la, saignons-la ! (Bis)
    Sus aux femelles,
    Aux enfants en maillots !
    Gare aux mamelles,
    Aux ventres, aux boyaux !
    Cognons !
    Le drapeau bouge,
    Noir et rouge !
    Cognons !
    Rangés en rangs d'ognons!
    Topons, à qui mieux mieux ! / Sur les jeunes, les vieux.(Bis)
    Saignons la bande,
    Sans entendre et sans voir:
    Le peuple est viande,
    La rue est échaudoir !
    Cognons !
    le drapeau bouge,
    Noir et rouge !
    Cognons !
    Ranges en rangs d'ognons !
    16 août 1888.



    LE COUCHER DU SOLEIL
    Air: Combien j'ai douce souvenance (Chateaubriand.l
    A Arthur Taire
    De rubis ourlant les nuages,
    Là-bas, là-bas, loin des rivages,
    Dédaigneux du monde indécent
    Des plages,
    Dans la mer, l'astre incandescent
    Descend.
    De la terre on le voit qui bouge.
    ll se laisse tomber, tout rouge.
    Pour boire son sang, I'Océan,
    Sa gouge,
    L'attire en son gosier géant,
    Béant.
    C'est fini ; l'eau vient de le prendre.
    L'embrasement se fait plus tendre.
    Comme des charbons cachés sous
    La cendre,
    Les nuages ont des tons roux,
    Très doux.
    Se chargeant comme une palette,
    et rose, et bleue et violette,
    La vase, miroir transparent,
    Reflète
    Les feux de l'astre indifférent,
    Mourant.
    L'ombre enveloppe toute chose ;
    Seule, sur l'Océan morose,
    Une voile, là-bas, se teint
    De rose.
    Puis le couchant, flambeau lointain,
    S'éteint.
    Et maintenant c'est la nuit noire,
    Les baigneurs, monde bassinoire,
    Faisant, bien que bas de plafonds,
    Leur poire ;
    Les cocottes et leurs griffons
    Bouffons,
    La plage est pleine d'imbéciles,
    Du Casino moutons dociles :
    Vieux ramollis, jeunes aux troncs
    Fossiles ;
    Après les roses, les étrons.
    —Rentrons !
    Fouras, 2 septembre 1888. MONSIEUR FERROUILLAT
    Air de: Cadet-Rousselle.
    A Forain.
    Ferrouillat, ministre ingénu, (bis)
    Professe la terreur du nu. (bis)
    Ainsi que Joseph le pudique,
    Devant Putiphar il abdique.
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    Quand, le soir, il se met au lit, (bis)
    Craignant de commettre un délit, (bis)
    Pour ne pas voir son corps modèle,
    Il souffle d'abord la chandelle.
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    Sombre, il furète, sur les quais, (bis)
    Dans les bouquins effiloqués. (bis)
    Il tremble devant les estampes
    Et pleure sur les culs-de-lampes.
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    Innocent comme Calino (bis)
    Aux jambes de son piano (bis)
    Il a fait mettre une culotte,
    Défendant que jamais on l'ôte.
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    Un crâne chauve le fait choir: (bis)
    Devant lui tirant son mouchoir, (bis)
    Comme Tartufe, il crie: «Arrière !
    Éloignez de moi ce derrière !»
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    Il rougit d'un propos gaillard. (bis)
    Chez lui quand il joue au billard, (bis)
    Il blêmit, ses yeux s'effarouchent,
    Lorsque les deux billes se touchent,
    Ah ! ah ! C'est renversant !
    Ce que Ferrouillat est décent !
    29 septembre 1888. L'ABBÉ ROUSSEL
    Air de : Cadet-Rousselle.
    A mon ami Georges Montorgueil
    L'abbé Roussel a trois maisons (bis)
    Pleines d'orphelins, bruns et blonds; (bis)
    Dans des dentelles de Malines,
    Il recueill' mêm' les orphelines ;
    Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
    L'abbé Roussel est bon enfant !
    L'abbé Roussel a trois wagons (bis)
    Pleins d' redingott's et d' pantalons; (bis)
    Ses orphelins il les habille,
    Moins cher qu'aux Phar's de la Bastille.
    Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
    L'abbé Roussel est bon enfant !
    L'abbé Roussel a trois rabats. (bis)
    Les deux premiers, i' n' les met pas. (bis)
    Chez lui, quand il fait la dînette,
    Le troisièm' lui sert de serviette ;
    Ah! ah ! ah ! mais vraiment,
    L'abbé Roussel est bon enfant !
    L'abbé Roussel a trois bannièr's. (bis)
    Le jour i' s' sert des deux premièr's. (bis)
    Oui. mais, le soir, après l'église,
    la troisièm' lui tient lieu d' chemise
    Ah ! ah ! ah ! mais vraiment,
    L'abbé Roussel est bon enfant !
    L'abbé Roussel a trois enfants (bis)
    Qui n'ont jamais eu de parents; (bis)
    Pour qu' son pensionnat soy' prospère,
    I' sem' des orphelins sur terre.
    Ah ! ah ! ah ! mais, vraiment,
    L'abbé Roussel est bon enfant !
    6 décembre 1886



    LES ACCAPAREURS
    Air : Le Midi bouge
    A Edouard Drumont


    C'est nous les financiers; / Gros oiseaux carnassiers, (Bis.)
    Notre bec fouille,
    A la barbe des lois,
    Dans la dépouille
    Du bon pays gaulois.
    Un ! deux !
    Le veau d'or trône ;
    Tout est jaune !
    Un ! deux !
    Nous nous foutons bien d'eux !
    Les juges, pantins vils / Dont nous tenons les fils, (Bis)
    Pleins d'insolence
    Pour le pauvre aux abois,
    Dans leur balance,
    Pour nous ont de faux poids.
    Un ! deux !
    Le veau d'or trône ;
    Tout est jaune !
    Un ! deux !
    Nous nous foutons bien d'eux !
    Pressurons, sans souci / Ce riche pays-ci. (Bis.)
    Serrons la meule !
    Poussons sur Ie ressort !
    Quand la faim gueule,
    C'est de l'argent qui sort !
    Un ! deux !
    Le veau d'or trône ;
    Tout est jaune !
    Un ! deux !
    Nous nous foutons bien d'eux I
    Tranquilles, jouissons, / Mangeons, buvons, pissons, (Bis.)
    Vivons sans masque
    Jusqu'à satiété ;
    Car qui qui casque ?
    C'est la société !
    Un ! deux !
    Le veau d'or trône ;
    Tout est jaune !
    Un ! deux !
    Nous nous foutons bien d'eux !
    5 novembre 1888. LES ACCAPARÉS
    Air : Le Midi bouge.
    A Jacques de Biez
    Gare à vous, financiers, / Gros oiseaux carnassiers ! (Bis)
    La bonne Gaule,
    Terrible en ses lambeaux,
    A coups de gaule
    Chassera les corbeaux !
    Filous !
    Quand Paris bouge,
    Tout est rouge !
    Filous !
    Prenez bien garde à vous !
    Bouchers d'Or, vils saigneurs, / Pire que les seigneurs, (Bis)
    Le peuple tisse
    Sa toile, aveugle et sourd,
    Et sa Justice
    Vous pendra haut et court.
    Filous !
    Quand Paris bouge,
    Tout est rouge !
    Filous !
    Prenez bien garde à vous !
    Sachez-le, gros barons, / Nous vous rattraperons, (Bis)
    Mauvaise teigne,
    Nous serrerons à mort:
    Quand le Rich' saigne,(1)
    C'est notre argent qui sort !
    Filous !
    Quand Paris bouge,
    Tout est rouge !
    Filous !
    Prenez bien garde à vous !
    Voleur à gros bedon, / Ronfle sous l'6dredon: (Bis)
    Pour voir ta fiole,
    Pâle, sur l'oreiller,
    La Carmagnole
    Viendra te réveiller !
    Filous !
    Quand Paris bouge,
    Tout est rouge !
    Filous !
    Prenez bien garde à vous !

    6 novembre 1888.



    LES FORAINS
    Air de: Paillasse (Béranger)
    A François Bidel

    «Une pétition contre les forains circule en ce moment à Montmartre. Cetto pétition, où figurent le noms de MM. Gérôme, William Busnach, Sarcey, G. Ohnet, Lenepveu, etc., etc., demande l'expulsion des banquistes. actuellement installés boulevard Rochechouart.»
    (Extrait des journaux. )

    Forains, roulant votre tonneau
    Ainsi que Diogène,
    Que l' beau mond' ferme son piano,
    Si vot' fanfar' le gêne.
    Vos spectacl's, vos jeux
    Ne sont pas pour ceux
    Chez qui l'argent abonde.
    Paillass', mon ami,
    N'saut' pas à demi :
    Saut'pour le petit monde !
    Saut' pour que Gérôme, aux abois,
    Désertant la peinture,
    N' nous montre plus d' bonshomm's en bois,
    Couleur de confiture.
    Brav'mont, criant: «Zut !
    A tout l'lnstitut,
    Critique, blague et fronde
    Paillass', mon ami,
    N' saut' pas à demi :
    Saut' pour le petit monde !
    Saute ! pour que William Busnach,
    Renonçant au théâtre,
    De Zola n' se fass' plus l' cornac,
    Changeant son marbre en platre
    Tout' son œuvre en toc,
    Même prise en bloc,
    Ne vaut pas ta faconde.
    Paillass', mon ami,
    N' saut' pas à demi :
    Saut' pour le petit monde.
    Saute pour que monsieur Lenepveu
    Ne fass' plus de musique.
    Pour que Sarcey, sans feu ni lieu,
    Abandonn' la critique.
    Pour que Georg's Ohnet,
    Dans son cabinet,
    N' fabriqu' plus d' guimauv' blonde.
    Paillass', mon ami,
    N' saut'pas à demi :
    Saut' pour le petit monde !
    Le seul banquiste qu'on devrait
    Chasser d' la plac' publique,
    Un saltimbanque, un chouette, un vrai,
    C'est Roch'fort, c'te sal' clique ;
    Il excit' les gens
    Et quand les agents
    Cogn'nt su' l' peuplc, à la ronde,
    Pour n' pas voir de sang
    I' s' débin', laissant
    Assommer l' petit monde I
    23 novembre 1888.



    LE TEMPS DES CRISES
    Air: le temps des cerises.
    A mon ami Georges de Labruyère


    Vous regretterez le beau temps des crises,
    Quand, pauvres sans pain et riches gavés,
    Nous serons aux prises.
    Les drapeaux de Mars flotteront aux brises,
    les drapeaux vermeils sur qui vous bavez.
    Vous regretterez le beau temps des crises,
    Quand viendra le Peuple en haut des pavés.
    Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
    Le vil renégat et l'accapareur
    En verront de grises.
    Les politiciens auront des surprises.
    Les Judas, au ventre, auront la terreur.
    Quand vous pleurerez le beau temps des crises,
    Grondera partout la Rue en fureur.
    Profitez-en bien du beau temps des crises,
    Où le Peuple jeûne et passe en rêvant
    Aux Terres promises.
    Quand donc viendras-tu fondre les banquises,
    O grand soleil rouge, ô soleil levant?
    Profitez-en bien du beau temps des crises,
    Où le Peuple veille et s'en va, rêvant.
    10 décembre 1886 LES OPPORTUNISTES ET LES INTRANSIGEANTS
    Scie politique dédiée aux électeurs
    de la prochaine Chambre
    Air : Ah ! mesdam's, voilà du bon fromage !
    A mon ami Sutter Lauman
    Quelle sci', vraiment ! Il est temps qu'on en finisse !
    Ce qu'on nous rase avec les opportunisses !
    Pour les électeurs, vrai, c'que c'est em...bêtant
    d'entendre toujours parler d'intransigeants !
    Qui qu'aim' le pouvoir ? Qui qui veut êt' minisses ?
    Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
    Dans le fond d'son cœur qui qui l'aime égal'ment ?
    Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
    Qui qui plac' rich'ment ses neveux et ses fisses ?
    Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
    Dans des sinécur's qui qui plac' ses parents ?
    Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
    Qui qui trait' partout l'ouvrier d'immondices ?
    Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
    Dans l'intimité. qui qui l'trait' de faignant ?
    Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
    Qui qu'a la terreur des affreux communisses ?
    Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
    Devant la Commun' qui qu'a des tremblements ?
    Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
    Qui qui s'fich' pas mal que le peuple pâtisse ?
    Ah ! mes bons amis, c'est les opportunisses.
    Dans l' for intérieur, qui qui s'en fiche autant ?
    Soyez-en certains, c'est les intransigeants.
    Tout's ces élections, oh ! la ! la ! quel supplice !
    Électeurs, votons tous pour des socialistes.
    Bien loin de la Chambre envoyons pareill'ment
    Les opportuniss's et les intransigeants.
    11 décembre 1886.





    LE REVEILLON DES GUEUX
    Air : Digue, digue, digue, diguedidou
    (Cloches de Corneville)
    A mon ami Jean Richepin
    Dans Paris glacé, les cloches des églises
    Sonnent, à minuit, la chanson de Noël,
    Et les vagabonds, sans pain et sans chemises,
    S'en vont, greloytant et maudissant le ciel.
    Blême et muselant l'appétit qui l'assiège,
    Le rôdeur se dit qu'il n'ira plus bien loin,
    Et, loin des sergots, s'étendant sur la neige,
    Comme un chien galeux va crever dans un coin. —(bis)
    Digue, digue, digue, diguediguedon,
    Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
    Digue, digue, digue, diguediguedon, `
    Sonne l'heure du Réveillon !
    Digue, digue, digue, digue,
    Etc., etc.
    Les fils de famille et les filles de joie,
    Les maigres viveurs et les bourgeois tout ronds,
    Près d'un clair foyer s'en vont manger de l'oie :
    Le Peuple, pour eux, a tiré les marrons.
    L'on boit, l'on s'empiffre, et l'on bat la campagne,
    Les catins en rut dépouillent les michés,
    Et le cliquetis des verres de champagne
    Répond en sourdine à l'hymne des clochers. —(bis)
    Digue, digue, digue, diguediguedon,
    Sonne, sonnez, sonnez, joyeux carillon !
    Digue, digue, digue, diguediguedon, `
    Sonne l'heure du Réveillon !
    Digue, digue, digue, digue,
    Etc., etc.
    Gros bourgeois repus, nocez, faites ripaille !
    Nous, les meurt-de-faim, nous nous réveillerons !
    Près d'un clair foyer, rôdeurs sans sou ni maille,
    Nous viendrons un jour pour manger les marrons !
    Oui, les vagabonds sans pain et sans chemises,
    Viendront démolir vos Noëls et vos dieux !
    Et vous entendrez les cloches des églises
    Sonner à minuit, le réveillon des gueux (bis)
    Digue, digue, digue, diguediguedon,
    Sonne, sonnz, sonnez, joyeux carillon !
    Digue, digue, digue, diguediguedon, `
    Sonne l'heure du Réveillon !
    Digue, digue, digue, digue,
    Etc., etc.
    26 décembre 1886 LA MÉLINITE
    Air : Ça vous coup' la gueule à quinze pas
    A mon ami Henri d'Arsay


    I' faut le r'connaître, un' jolie invention
    C'est celle do la mélinite.
    Ça fait honneur à la civilisation,
    D' produir' des matières de c' mérite.
    C'est joli, ça r'ssemble à du miel ;
    Mais ça fait sauter vingt maisons jusqu'au ciel.
    Un simple choc et patatras !
    Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
    Nous avions déjà découvert la nitro-
    Glycérine et la dynamite ;
    L' Prussien, sentant v'nir la guerre au petit trot,
    Inventa la douc' panclastite.
    Monstres, prenez pas c't air rupin,
    Car la mélinit' c'est le coup du lapin ;
    Réunis, vous ne la valez pas :
    Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
    Chauvins d'outre-Seine et soudards d'outre-Rhin,
    En dépit' de vos airs terribles,
    Les peupl's couvriront, de leurs grand's voix d'airain,
    Le bruit d' vos matièr's explosibles.
    Gar' si nous nous en emparons,
    Un jour, contre vous, nous nous en servirons.
    C'est drôl' que vous n' le sentiez pas :
    Ça vous coup' la gueule à quinz' pas !
    11 janvier 1887 LA SOCIÉTÉ PROTECTRICE DES ANIMAUX

    «Tout Paris était hier soir à l'hyppodrome pour la seconde représentation des courses de taureaux...
    «Quelques fanatiques de la Société Protectrice des animaux ont cru devoir protester, mais sans grand succès.»


    Air : aimez-moi au moins comme vos bêtes
    Lachambaudie.
    A mon ami Henri Brissac
    A l'aube, je vais à l'usine ;
    En sueur, sans jamais m'asseoir,
    Je me surmène, je turbine,
    Depuis le matin Jusqu'au soir.
    Philanthropes, soyez plus chouettes ;
    Je vaux bien tous vos animaux.
    Bis :
    Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
    Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
    Pour rien je travaille sans trêve ;
    L'exploiteur est mon picador ;
    Et lorsqu'à bout je me soulève,
    César est mon toréador.
    Hommes sensibles que vous êtes,
    Protestez contre mes bourreaux !
    Bis :
    Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
    Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
    Quand j'attrape soixante ans d'âge,
    Le patron dit: «Il est trop vieux !»
    Il m'envoie à l'équarrissage
    Comme un pauvre cheval boiteux.
    Au lieu de faire des courbettes
    Devant mes cruels toreros,
    Bis :
    Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
    Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
    Le sort me garde en récompense
    La mort, sans rien dans le fanal ;
    L'autopsie, au nom de la science,
    Sur un triste lit d'hopital.
    Les travailleurs ont leurs squelettes
    Dans les cabinets medicaux.
    Bis :
    Aimez-moi du moins comm' vos bêtes,
    Vos chiens, vos chats et vos taureaux !
    23 janvier 1887.



    POUR LA GRÈVE !
    (A tous les travailleurs de France)
    Air des Pins (de Pierre Dupont)
    A mon ami Vialla
    Tous les esclaves du Chantier,
    Tous les écorchés de l'Usine,
    Tous les martyrs de l'Atelier,
    Tous les enterrés de la Mine !
    Ceux du dessus et d'en-dessous !
    Alerte ! amis, on nous affame !
    En chœur envoyez vos gros sous
    Pour les petits et pour la femme !
    Travailleurs on vous tend la main !
    Donnez toujours ! Donnez sans trève !
    Pour ceux qui souffrent de la faim,
    Que le bronze se change en pain :
    Le pain, c'est l'arme de la Grève !
    La Grève, c'est le grand combat
    Des rouges contre les livides
    Des poitrines où le cœur bat
    Contre les poitrails qui sont vides,
    C'est le combat où, pour lutter,
    Le pauvre n'a pas de mitrailles :
    Il lui suffit, pour résister,
    D'un peu de blé dans les entrailles !
    Travailleurs on vous tend la main !
    Donnez toujours ! Donnez sans trève !
    Pour ceux qui souffrent de la faim,
    Que le bronze se change en pain :
    Le pain, c'est l'arme de la Grève !
    Donnez encore ! Donnez toujours !
    Des liards, faites la récolte !
    Cette farine dans les fours,
    C'est la poudre de la Révolte
    Tire ta bourse, citoyen !
    Celui qui bataille est ton frère ;
    Ton gros sou, c'est un biscaïen
    Qui tombe dans sa cartouchière !
    Travailleurs on vous tend la main !
    Donnez toujours ! Donnez sans trève !
    Pour ceux qui souffrent de la faim,
    Que le bronze se change en pain :
    Le pain, c'est l'arme de la Grève !
    8 mars 1887



    POISSON D'AVRIL
    Air : On les pendra !
    A mon ami Eugène Riffey
    Peuple crédule qu'on lanterne
    Et qui coupe dans tous les ponts,
    Allume un peu mieux ta lanterne ;
    Tu démasqueras les fripons,
    Les renégats et les capons.
    Du candidat sur son affiche,
    N'écoute plus le vilain babil ;
    Ses promesses, ce qu'il s'en fiche !
    Poisson d'avril ! (4 fois)
    Ce blagueur, afin qu'on l'élise,
    Dans sa longue profession,
    Voulait, de l'Etat, de l'Eglise,
    Pour toujours sans rémission,
    Faire la séparation.
    Candidat, il fit la promesse
    D'envoyer le prêtre en exil ;
    Honorable, il sert la messe ;
    Poisson d'avril ! (4 fois)
    Cet effronté, pourri de vice,
    De faire four ayant le trac,
    Au villageois simple et novice
    Sur son affiche, sans mic-mac,
    Promet un bureau de tabac.
    Pour un autre, garde ton vote,
    Bon gogo, car ce bureau qu'il
    Te promet, c'est une carotte :
    Poisson d'avril (4 fois)
    Ce troisième dans ses affiches,
    Sur un ton protecteur et fier,
    Promet aux électeurs godiches
    Un grand canal, un port de mer,
    Des routes, des chemins de fer.
    Conclusion accoutumée :
    Le pays n'a même pas un fil ;
    Le railway s'envole en fumée :
    Poisson d'avril (4 fois)
    Bon peuple, à Lille comme à Tarbes,
    Ne crois plus aux politiqueurs ;
    Imberbes ou bien vieilles barbes,
    Forts en paroles, mais traqueurs.
    Tous les tribuns sont des truqueurs,
    De grands mots ils tiennent boutique ;
    Un jour, quand t'auras un fusil,
    Tire dessus la politique :
    Poisson d'avril (4 fois)
    2 avril 1887 LES ANTI-PROPRIÉTAIRES
    Air : On les guillotinera, messieurs les propriétaires...
    A. POTHEY.
    A mon ami Alexandre Pothey
    Refrain :
    On les déménagera
    Les malheureux locataires ;
    On les déménagera ;
    Le concierge en crèvera.
    Vous qui n'avez pas d'argent,
    Demandez les pauvres hères,
    L' coup d'épaule intelligent
    Des antipropriétaires
    (Au refrain.)
    Honnêt's filles sans le rond,
    Pâl's et tristes ouvrières,
    Lugubre chair à patron,
    Nous sauv'rons vos pauv's affaires.
    (Au refrain.)
    Pauvres vieillards aux abois
    Dont les fils sont militaires,
    Appelez la cloch' de bois :
    Elle sonn' pour tous nos frères.
    (Au refrain.)
    Tristes veuves sens emploi,
    Petits goss's restés sans pères,
    A la barbe de la loi
    Nous soulag'rons vos misères.
    (Au refrain.)
    Vous qui rôdez sous le ciel
    En r'gardant l'eau des rivières
    De vos maqu'reaux maîtr'-d'hôtel
    Nous défonc'rons les caf'tières.
    (Au refrain.)
    Du rez-d' chaussé' jusqu'en haut
    Sur los pip'lets délétères
    Nous cogn'rons et, s'il le faut,
    Nous ouvrirons los portières.
    On les déménagera
    Les malheureux locataires ;
    On les déménagera ;
    Le concierge en crèvera.
    9 avril 1887



    LE TOMBEAU DES FUSILLÉS
    Air: La Chanson des peupliers.
    A mon ami Désiré Magnien
    Ornant largement la muraille,
    Vingt drapeaux rouges assemblés
    Cachent les trous de la mitraille
    Dont les vaincus furent criblés.
    Bien plus belle que la sculpture
    Des tombes que bâtit l'Orgueil,
    L'herbe couvre la sépulture
    Des morts enterrés sans cercueil.
    Ce gazon que le soleil dore,
    Quand Mai sort des bois réveillés ;
    Ce mur que l'Histoire décore,
    Qui saigne encore,
    C'est le tombeau des fusillés. (bis)
    Autour de ce tombeau sans bronze,
    Le prolétaire, au nez des lois,
    Des héros de soixante et onze
    Écoute chanter las exploits.
    Est-ce la tempête ou la houle
    Montant à l'assaut d'un écueil ?...
    C'est la grande voix de la foule
    Consolant les morts sans cercueil !
    Ecoute, bon bourgeois qui tremble:
    Pleurant ceux qu'on croit oubliés,
    Le peuple, tout entier, s'assemble
    Et vient ensemble
    Près du tombeau des fusillés. (bis)
    Loups de la Semaine sanglante,
    Sachez-le, l'agneau se souvient.
    Du peuple la justice est lente ;
    Elle est lente, mais elle vient !
    Le fils fera comme le père
    La vengeance vous guette au seuil;
    Craignez de voir sortir de terre
    Les morts enterrés sans cercueil !
    Tremblez ! les lions qu'on courrouce
    Mordent, quand ils sont réveillés !
    Fleur rouge éclose dans la mousse,
    L'Avenir pousse
    Sur le tombeau des fusillés ! (bis)
    30 mai 1887



    LA MARSEILLAISE DE LA JEUNESSE
    Air : La Marseillaise
    A mon ami Louis Jeannin


    Allons ! Jeunesse de la France,
    Fils de la rue et du pavé,
    Par nous, des arts, do la science,
    Le drapeau sublime est levé ! (bis)
    Entendez-vous, dans nos écoles,
    Les maîtres parler aux enfants?
    A leurs jeunes fronts triomphants,
    Le savoir met des auroles !
    Aux livres ! citoyens ! Sans répit travaillons !
    Lisons ! (bis) que le savoir guide nos bataillons !
    Que veulent ces porte-soutanes,
    Contre le progrès conjurés ?
    Pour qui ces honteux bonnets d'ânes,
    Pour des fronts étroits préparés (bis)
    Enfants ! Pour nous ! Ah ! quelle offense !
    Apprêtons-nous à résister !
    C'est nous qu'on ose méditer
    de rendre à l'antique ignorance !
    Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
    Eh quoi ! cette horde de prêtres
    Mettrait sur nous son mantenu noir !
    Quoi ! sur l'Esprit, cec mauvais maîtres
    Placeraient l'ignoble éteignoir ! (bis)
    Sous l'effort de ces mains impures,
    Nos Crânes se déformeraient!
    Ces cancres débiliteraient
    Les générations futures !
    Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
    Pour l'intolérance passée,
    Gardant un trop juste mépris,
    Enfants, que la Libre-Pensée
    Dirige seule nos esprits ! (bis)
    Parcourant Montaigne et Molière,
    Ces prophètes des temps nouveaux,
    Camarade, que nos cerveaux
    S'ouvrent enfln à la Lumière !
    Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
    Instruction obligatoire,
    Viens lutter avec tes soldats !
    Donne-nous la seule victoire
    Qui soit féconde en résultats ! (bis)
    A l'école, que la Jeunesse
    Accoure è ton sublime appel !
    Au nez des Buffet, des Freppel,
    Que, par toi, la France renaisse !
    Aux livres ! citoyens ! etc., etc.
    14 juin 1887 LA QUESTION DE l'EAU
    Air : C'est la poire
    A mon ami Raoul Ponchon
    LES VAGABONDS
    L'eau de source, pure ot saine,
    Coule pour tous les richards.
    En revanche l'eau de Seine
    Empoisonne les déchards.
    La situation est noire
    Pour nous autres, buveurs d'eau !
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    Bis :
    C'est à boire, à boire, à boire,
    C'est à boire qu'il nous faut !
    LES BÉBÉS
    Bébé en maillots, en robes.
    Qu'on coiffe d'un bourrelet,
    Prenons bien garde aux microbes :
    Y' a de l'eau dans notre lait !
    Dans le biberon d'ivoire
    La mort guette le marmot !
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    Bis :
    C'est à boire, à boire, à boire,
    C'est à boire qu'il nous faut !
    LES TRAVAILLEURS
    Nous tous qui mangeons sans nappes
    Dans les gargot's d'ouvriers ;
    A qui, comme jus de grappes,
    On verse des vins mouillés ;
    Camarades, l'infusoire
    Peut s'échapper du goulot !
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    Bis :
    C'est à boire, à boire, à boire,
    C'est à boire qu'il nous faut !
    LES COLLÉGIENS
    Esclaves de la science,
    Triste chair à professeurs,
    Oui buvons de l'abondance,
    Loin des mamans et des sœurs !
    Pour nous tous, le réfectoire
    Peut devenir le tombeau !
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    Bis :
    C'est à boire, à boire, à boire,
    C'est à boire qu'il nous faut !
    LES RICHES
    Riches, heureux de la vie,
    Nous pour qui tout est azur,
    Nous que la Misère envie,
    Grisons-nous de bon vin pur !
    Amis, comme un saint-ciboire,
    Levons le verre bien haut !
    Oh ! oh ! oh ! oh !
    Bis :
    C'est à boire, à boire, à boire,
    C'est à boire qu'il nous faut !
    26 juin 1887







    V'LA-Z-UN GENDARME !
    A mon ami Lunel
    Un gendarme passait, M. Josselin eut la malencontreuse idée de fredonner :
    «V'là un gendarme, sauvons-nous !»
    Le scandale de Saint-Cloud.
    Vieilles, sur les seuils accroupies,
    Assises à l'ombre des toits ;
    Pauvres fileuses à roupies,
    Chantonnant des airs d'autrefois :
    Sentez ces odeurs de maroles,
    De bottes, quand les temps sont mous...
    Grand'mères, gare à vos paroles :
    V'là-z-un gendarme, taisez-vous !
    Joyeuses rondes enfantines,
    Qui, par la rue ou les buissons,
    insouciantes et mutines,
    Tournez au rythme des chansons;
    Sentez-vous dans le frais bocage,
    Ces fades relents d'hommes saoûls ?
    Oiseaux, rentrez dass votre cage:
    V'là-z-un gendarme, envolez-vous !
    Gais amoureux qui, sous les branches,
    Fuyant l'averse de soleil,
    Parmi les paquerettes blanches,
    Marchez vers l'horizon vermeil,
    Dans les fourrés montant la garde,
    Quand voue vous faites les yeux doux.
    Cabis est là qui vous regarde:
    V'là-z-un gendarme, sauvez-vous !
    «Fatal oracle d'Épidaure»,
    Docteur Castaing, qui dans Saint-Cloud
    Conquit la gloire, avant Pandure ;
    Campi, Gamahut. Ménesclou,
    Prévost, Troppmann et Lacenaire,
    Corps sana têtes, têtes sans cous,
    Les assassins, sortez de terre :
    V'là-z-un gendarme, embrassez vous !
    4 juillet 1887 LA «VEUVE»
    A mon ami Octave Mirbeau
    La veuve, auprès d'une prison,
    Dans un hangar sombre, demeure.
    Elle ne sort de sa maison
    Que lorsqu'il faut qu'un bandit meure.
    Dans sa voiture de gala
    Qu'accompagne la populace,
    Elle se rend, non loin de là,
    Et, triste, descend sur la place.
    Avec des airs d'enterrement,
    Qu'il gèle, qu'il vente, ou qu'il pleuve,
    Elle s'habille lentement,
    La Veuve.
    Les témoins, le prêtre et la loi,
    Voyez, tout est prêt pour la noce.
    Chaque objet trouve son emploi :
    Ce fourgon noir, c'est le carrosse.
    Tous les accessoires y sont:
    Les deux chevaux, pour le voyage,
    Et les deux paniers pleins de son :
    la corbeille de mariage.
    Alors, tendant ses longs bras roux,
    Bichonnée, ayant fait peau neuve,
    Elle attend son nouvel époux,
    La Veuve.
    Voici venir son prétendu,
    Sous le porche de la Roquette,
    Appelant le mâle attendu,
    La Veuve, à lui, s'offre, coquette.
    Pendant que la foule autour d'eux,
    Regarde, frissonnante et pâle,
    Dans un accouplement hideux,
    L'homme crache son dernier râle.
    Car ses amants, claquant du bec,
    Tués dès la première épreuve,
    Ne couchent qu'une fois avec
    La Veuve.
    Cynique, sous l'œil du badaud,
    Comme, en son boudoir, une fille,
    La Veuve se lave à grande eau,
    Se dévêt et se démaquille.
    Impassible, au milieu des cris,
    Elle retourne dans son bouge.
    De ses innombrables amants
    Elle porte le deuil en rouge,
    Dans sa voiture se hissant,
    Gouge horrible, que l'homme abreuve,
    Elle rentre cuver son sang,
    La Veuve.
    30 août 1887.



    LA LIBERTÉ DU TRAVAIL
    Air du Rêve du Paysan (Pierre Dupond)
    A mon ami Bernard Fau.
    — Travaillez, dit un vieil adage,
    Le travail, c'est la liberté !
    — Non ! le travail c'est l'esclavage !
    Riposte, aujourd'hui, l'exploité.
    Le Capital vous extermine,
    Du pouvoir bravant les fusils ;
    Quittez la fabrique et la mine,
    Frères, laissez là vos outils !
    Grève ! travailleurs ! grève !
    Que, de la montagne à la grève,
    Ce cri, par vous tous répété,
    Donne au travail ressuscité,
    La liberté ! (Bis)
    Le travail, laboureur du monde,
    Engraissant son fermier brutal,
    Patient, récolte à la ronde,
    Pour enrichir le Capital.
    Tandis qu'enfermé dans ses chambres,
    Ronfle le patron, son tuteur,
    Il fauche, ayant aux quatre membres
    Les chaînes d'or de l'exploiteur.
    Grève ! travailleurs ! grève !
    Que, de la montagne à la grève,
    Ce cri, par vous tous répété,
    Donne au travail ressuscité,
    La liberté ! (Bis)
    Hercule doux et sans révolte,
    Oubliant son manteau royal,
    Le travail soutient l'archivolte
    De l'édifice social.
    Usant la vigueur qul l'embrase
    Et sans revendlquer son bien
    Du lourd monument qui l'écrase
    Il est le colossal soutien.
    Grève ! travailleurs ! grève !
    Que, de la montagne à la grève,
    Ce cri, par vous tous répété,
    Donne au travail ressuscité,
    La liberté ! (Bis)
    Exploiteurs ! gare à la révolte !
    Le faucheur brisera ses liens.
    L'Hercule, lâchant l'archivolte,
    Sonnera l'assaut de vos biens.
    Il vous faudra bien vous soumettre
    Et cracher tout l'or du vol, quand
    Le travail, devenu son maître,
    Sortira, rouge, du volcan !
    Grève ! travailleurs ! grève !
    Que, de la montagne à la grève,
    Ce cri, par vous tous répété,
    Donne au travail ressuscité,
    La liberté ! (Bis)
    30 septembre 1887. LES ANARCHISTES DE CHIGAGO
    A mon ami Ernest Laumant
    «Si l'hommage rendu à la vérité est un crime capital, eh bien ! pour si cher qu'en soit le prix, nous le paierons.»
    (Paroles de Spiees à ses juges)
    Ceux qui meurent pour leurs idées,
    Sans crainte affrontent le trépas.
    Pour ces légions décidées,
    la potence n'existe pas.
    Fières victimes du mensonge,
    Ils dédaignent le ver qui mord.
    Le martyr, à l'avenir, songe
    Avant la mort !
    Quand sonne l'heure du supplice
    Quittant son radieux séjour,
    En dépit de l'ombre complice,
    La vérité brille au grand jour.
    du patient qui se balance,
    Âme lumineuse, elle sort.
    De l'échafaud elle s'élance
    Pendant la mort !
    Ombrageant la fosse comblée,
    Arbre, des exploiteurs maudits.
    D'affronts et d'insultes criblée,
    Aux yeux de tous elle grandit.
    De la sève des martyrs pleine,
    Vers l'azur prenant son essor,
    Elle couvre toute la plaine
    Après la mort !
    17 octobre l887. LE MEILLEUR PRÉSIDENT
    Air : Mon père était pot.
    A mon ami Georges Duval
    Que l' président soit Freycinet,
    Sadi-Carnot ou d'autres,
    C'est bonnet blanc et blanc bonnet:
    Ces gens n'sont pas des nôtres,
    Pour l'os des bourgeois
    Tremblants, aux abols,
    Bon peuple, aboie ou gronde :
    L'fait est évident :
    L' meilleur Président
    C'est l'Président Tout-l'-Monde.
    De vot' maîtr' quel que soit le nom,
    Pauvr's, c'est toujours vot' maître.
    Sur vous il fera tirer l' canon,
    Afin de vous soumettre.
    Il vous exploit'ra
    Et l'on rigol'ra
    d'vos bobin's à la ronde.
    L'fait est évident :
    L' meilleur Président
    C'est l'Président Tout-l'-Monde.
    Au lieu d' voter pour le bedon
    Des richards a bell' mise,
    Travailleur naïf, vote donc
    Pour l'homm' qu'est dans ta ch'mise.
    Sortant d' sous ton toit,
    Ne t' bats plus qu' pour toi,
    Quand souffle un vent de Fronde.
    L'fait est évident :
    L' meilleur Président
    C'est l'Président Tout-l'-Monde.
    Des présidents, il n'en faut plus ;
    Moi j' trouv' ça ridicule :
    C'est des soliveaux superflus
    Qul gên'nt quand on circule.
    I's n'veul'nt foutr' le camp
    D' leur fauteuil que quand
    L' mépris public débonde.
    L'fait est évident :
    L' meilleur Président
    C'est l'Président Tout-l'-Monde.
    3 décembre 1887.
     
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