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Maurice Joyeux - Un numéro spécial de "la Rue" sur le SEXE ! Pour quoi faire ? (1974)

Discussion dans 'Bibliothèque anarchiste' créé par Ungovernable, 9 Juin 2009.

  1. La Rue n°17 - 1er trimestre 1974.

    Le lecteur se posera la question : encore une publication consacrée au sexe, pourquoi faire, pourquoi « la Rue », pour quoi faire ?

    Il est vrai que kiosques et librairies, sans parler des sex-shops, regorgent d’une littérature « spécialisée ». Justement, c’est cette prolifération qui nous a décidés à traiter ce sujet. Ce qui semble dominer cette marée littéraire qui envahit le lit et l’esprit, c’est son irréalisme, un conformisme qui ballotte entre la provocation hystérique et le pensum universitaire, entre les petites femmes savamment déshabillées par le dessinateur égrillard et les traités épais truffés par un professeur respectable des mots barbares, que ni vous ni moi n’avons jamais employés, même lorsque nous perdions les pédales. Réaliste ou obscure, la littérature du sexe navigue entre la licence et l’ennui avec des variantes dues aux modes du jour, comme par exemple celle qui a été introduite par l’école de Frankfort où les Reich, les Marcuse et quelques autres freudo-marxistes vous accommodent la sexualité et la révolution à une sauce aussi indigeste que celle dont se sont servis avant eux les curés, les bourgeois libéraux ou les sorbonnards. Ce qui risque de vous dégoûter à jamais de ces deux exercices aussi indispensables l’un que l’autre à la survie de l’humanité et à l’équilibre mental des êtres.

    Lorsqu’on a pris conscience de l’importance du problème sexuel qui conditionne l’existence des espèces et de la place qu’il a toujours occupée dans les relations luminaires dans le cadre de la société, on s’aperçoit que deux éléments dominent notre réflexion. Le premier, c’est que la relation sexuelle est à l’origine de toutes les manifestations de la vie, qu’elle est la source de toute expression dont l’homme ou la femme s’enorgueillissent, à commencer par celles qui nient ou repoussent l’évocation du sexe. Le second de ces éléments, c’est la manière dont l’homme ou la femme conçoivent les problèmes de la relation sexuelle. Le premier de ces éléments relève de la biologie, donc des sciences exactes, le second, des rapports sociaux, donc de la science humaine et expérimentale. Toutes les théories qui peuvent être élaborées par des intellectuels en ruts, toutes les pratiques sexuelles inventées par l’homme-foule relèvent de ces deux facteurs essentiels.

    Il ne sert à rien de sortir le sexe de la biologie pour le précipiter, ainsi que le fait le prêtre ou le poète dans le flou métaphysique, pas plus d’ailleurs que d’essayer d’en réglementer les rites, car la pratique sexuelle échappe au rationnel et relève de la construction biologique et spirituelle des êtres qui constituent le couple, et dans l’état actuel de la connaissance, trop d’éléments demeurent encore inexplicables.

    Ce problème, nous avons donc voulu le regarder non pas en spécialistes ou en moralistes, mais simplement comme des êtres moyens venant de différents milieux sociaux ou intellectuels et qui réagissent devant la relation sexuelle, conditionnant tous les autres, à travers leur expérience, leur culture, leur propre personnalité.

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    Lorsque nous avons décidé d’éditer un numéro spécial de notre revue sur la sexualité, nous avons tout de suite eu conscience de la difficulté de cette tâche. Aucun d’entre nous n’était spécialiste de cette question, beaucoup même étaient agacés par la volonté délibérée de certains théoriciens de la révolution de tout ramener à la sexualité, et puis ne risquions nous pas de nous mettre en contradiction avec ce que nos anciens qui, au début du siècle, avaient écrit sur ce sujet brûlant ? Les anarchistes ont souvent parlé de la sexualité ; les individualistes s’en étaient fait une spécialité ! Il n’était pas évident que nous fussions d’accord avec tout ce qui avait été dit avant nous. D’autres part, il n’était pas sans intérêt de constater que beaucoup d’anarchistes, passionnés par la sexualité, avaient eu à l’origine une formation religieuse avant d’être rejetés vers un autre versant idéologique, et cette formation avait pu être déterminante lorsqu’ils avaient établi quelques grandes règles du comportement sexuel, acceptées par l’ensemble d’un mouvement que ce sujet n’avait jamais enthousiasmé et que beaucoup considéraient comme relevant du domaine de la vie privée.

    La liberté totale proposée par Armand, qui faisait figure de prophète en la matière, sa coopérative de consommation amoureuse ouverte à tous les sociétaires, sans qu’aucun ou aucune ne puisse se dérober à ce devoir communautaire, relevait des brumes idéalistes ou prêtait à une sainte rigolade. De toute façon, nous voulions faire autre chose qui, à la fois, tiendrait compte de la liberté, du social et de la psychologie des hommes et des femmes qui varient suivant les âges, les classes, les cultures.

    C’est très décontracté qu’après avoir réuni l’équipe de « la Rue », nous avons décidé de diviser ce vaste sujet en chapitres, parmi lesquels chacun de nous choisirait celui dont le sujet correspondait à ses sentiments, et vogue la galère !

    Le résultat de cette méthode, que certains pourront peut-être trouver trop classique mais qui a l’avantage de la clarté, a donné un tiercé dont le premier élément est composé d’une partie historique, le second d’une partie sociale et le troisième d’une partie psychologique. Cette méthode de travail a au moins un avantage : elle confère à chaque sujet une autonomie à peu près complète et échappe au ton monotone des revues spécialisées. Le lecteur trouvera dans ces textes des contradictions, qui ne sont pas majeures, et des éléments communs traités de façon différente suivant le sujet auquel ils servent d’arguments. Nous l’avons voulu ainsi. L’unité de ce numéro spécial sur la sexualité n’est pas réalisée par une manière uniforme de voir le problème sexuel comme, par exemple, nous le constatons chez Armand où la liberté dans le plaisir domine tous les sujets, ou chez Reich où le problème sexuel est ramené au problème social, mais par une unité dans la diversité de ton, de préoccupation et de jugement qui sont le propre de la liberté dont nous faisons profession et qui sont à l’échelle des hommes et des femmes unis dans l’espèce et divers dans la construction intellectuelle, dans la sensation et dans la perception sensorielles des phénomènes psychiques.

    Il ne pouvait pas en être autrement d’ailleurs. Notre équipe est composée de professeurs, d’étudiants, d’ouvriers, d’hommes et de femmes appartenant aux trois âges de la vie et dont les expériences, les informations, les sensations viennent de milieux différents, et je pense pouvoir dire que, par sa diversité, par le caractère de ses collaborateurs, et malgré un nombre incalculable d’écrits sur la sexualité qui circulent dans nos milieux, notre numéro spécial représente une nouveauté dans la manière d’aborder le sujet. Autour de cette table rustique que constitue « la Rue », nous sommes réunis et nous avons parlé librement, sans idées préconçues, d’un sujet qui, au fil des idées émises par les uns ou par les autres, nous est apparu de plus en plus fondamental. Nous avons refusé l’uniformité du ton et du style, nous avons banni les théories « animistes » chères aux néo-marxistes libertaires comme aux libertaires marxistes, dont. la recherche passionnée d’un renouveau qui fait se pâmer quelques sorbonnards consiste à mélanger des genres dont l’origine se perd dans la nuit des temps.

    Avons-nous réussi dans ce projet ambitieux où Reich, Marcuse, Freud ne sont que modérément cités et Armand pas du tout ? Ce sera aux lecteurs de répondre en diffusant autour d’eux ce travail de l’équipe de « la Rue ».

    M. J.
     
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