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Guerres & impérialisme Misrata. Mes copains, ma maison sous les bombes.

Discussion dans 'Webzine - actualité des luttes et partage d'articles de presse' créé par anarkorevolter, 6 Mai 2011.

  1. anarkorevolter
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    anarkorevolter Membre du forum Membre actif

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    Oct 2005
    Les kadafistes sont hors de Misratah et désormais s’abat toutes les nuits, de dix heures du soir á huit heures du matin, une pluie de roquettes et d’obus sur les quartiers résidentiels de la ville. Les combats se déroulent maintenant sur un terrain plus dégagé, à priori moins favorable aux insurgés, mais ces derniers progressent petit á petit en bons professionnels.

    Témoignage :

    « On est jeudi et demain tous les magasins seront fermés. Du coup, tout est bondé de monde, la troisième couronne de la ville (boulevard périphérique) est paralysée par les check points qui vérifient toutes les bagnoles. Il y a plein de magasins ouverts, dans tous les quartiers, bouffe, vêtements, supermarchés parfois, tout ce que tu veux. Je suis avec un pote qui a endormi une ambulance genre superclasse á l’hostipal principal, et même en poussant á fond sur les sirènes, on galère á mort dans les bouchons.

    Après ne t-y trompes pas ; ne crois pas que les bombardements ont cessé. Ça tombe encore pas mal sur la ville, même en pleine journée, mais voilà demain c’est vendredi et on restera à la maison ; alors plutôt que de se faire aplatir demain á la maison, allons crever en faisant les courses. Bientôt, si Dieu le veut ,nous ferons taire ces putains de BM14 et plus tard peut -être on s’occupera aussi des Katiouchas, à moins que l’OTAN ne le fasse á notre place. Si il ne le fait pas, nous le ferons, c’est facile à faire, nous l’avons déjà fait.

    On était pas loin de les faire taire, ce matin, les BM14 avec les copains de la Katiba noire -rebâtissée Katiba Albouz depuis la mort il y a quelques jours de son très charismatique leader Mohamed Albouz. On entendait le typique “ssssshhhhhhrrrrrrrreeeeeeoua” que font les roquettes en sortant des tubes. Ça nous fait bien chier cette petite musique, mais c’est fini les assauts la fleur au fusil, comme des Kékés, á la “de toute façon Allah est avec nous”. Les gars sont au travail depuis 7 heures et là y a des types qui rampent dans l’herbe avec des flingues et des VHF (radio de faible portée) et qui s’approchent tout en douceur des positions ennemies. Nous, á l’arrière, on joue aux cons, on prend nos caisses á la Mad Max, blindées avec des canons de 23mm (antiaérien à balles explosives) et on part toutes les 5 minutes vider quelques chargeurs.

    L’ennemi croit qu’on se contente de cette merdouille, il réplique au sans recul (petit canon de faible portée) et au mortier, et même sans observateur, à cette distance, il met immanquablement dans le tas, ou alors c’est un coup de bol, mais on ne décarrera pas pour autant, ici il n’ y a que des vrais mecs.

    Après y a un vieux paysan, qui ressemble á rien, et qui s’amène des lignes ennemies avec un pick-up Peugeot plein de fourrage pour ces moutons. Les potes sont un peu sur le cul, ils font moins les fiers. Le vieux gars nous dit vite fait où sont ces fils de pute qu’on leur fasse la peau.

    Les gars sont sur place, ils se sont bien approchés ; chez nous, trois équipes partent reconnaitre les alentours. De retour ça discute ferme. On va y aller en douceur, et leur envoyer quelques bombes voir ce qu’ils en disent. Peut-être que cela les fera fuir ?

    De l’arrière, une caisse avec deux mortiers de 60 et tout ce qui faut a vite rappliqué. On les met en place, on règle les charges sur les bombes avec des tables de tir trouvées sur internet. Aujourd’hui on commence avec 2 charges par bombe. Un mec qui a un GPS avec compas oriente les mortiers. On consulte les cartes sur autocad pour l’inclinaison (dans d’autres groupes on utilise google maps), et on commence à balancer gentiment au compte goute. A côté dans une caisse piquée aux kadafistes et dûment repeinte en noir (couleur de la Katiba) d’autres gars écoutent, sur une cibie, le rapport des observateurs. On refait les réglages et on remet ça. Quand on sera dessus, on bombardera pour de vrai et ils vont comprendre leur douleur.

    Mais on ne restera pas, parce que le petit frère de Mohamed qui a repris avec 3 autres gars le commandement du frangin, fait dégager tout le monde. Il n’y a pas besoin d’être vingt pour servir un mortier et on fait vraiment une cible trop voyante. On va un peu plus loin préparer du thé et continuer à blaguer et à raconter des histoires á l’abris des obus et des bombes de mortiers.

    Le soir venu, on va sur le toit avec un autre copain, et on écoute un énorme canon au loin qui balance la purée. Apparement la batterie tire quelque part au sud, ça nous passe au-dessus de la tête et ça va s’écraser plus au Nord en faisant d’énormes éclairs blancs. A chaque coup les vitres s’ébranlent et font un bruit terrible. A chaque fois qu’ils utilisent ce canon, c’est le même ménage, les familles déboulent des quartiers visés et viennent se planquer au sous-sol du media center. Avec tous les cris des gamins, impossible de dormir. En fait les femmes vivent ça 24H sur 24, mais nous une nuit, on en a déjà soupé. Alors avec Ibrahim qui est maintenant au lycée, on reste un peu au frais, et on en profite pour faire des maths. Tu comptes les écarts entre les sons et la lumière, t’as la vitesse du son, voilà c’est pas compliqué, un rapide calcul et le résultat apparait: les obus sont tirés de plus de 5km en face et tombent à plus de 3 km en arrière. Il en tombe un toutes les minutes et dix secondes approximativement, et ça va continuer comme ça jusqu’á bien 7 ou 8 heures du matin, pour peut-être reprendre vers les 10-11 heures.

    Là on a du mal à se réveiller , mais c’est pas grave tout le monde attend le feu vert de l’OTAN pour continuer. On progressait partout, mais si l’OTAN te dit: « va pas plus loin, je bombarde » ; tu bouges pas ! Y a un type á l’hosto qui en parlerait mieux que moi. Sur le front on s’ennuie ferme. Les groupes de combat sont innombrables. Ceux qui combattent depuis le début lâchent pas l’affaire tandis que des nouveaux venus entrent dans la danse. Rien qu’á Al Giran , ils combattent de concert les Katibas : Anhabaka (nom de lieux), Shahid (martyr), Swerli 1 et 2 (en hommage á Ramadan Swerli héros de Misratah), Zamoura (famille de combattants), Aljourf et Magaspa. La moitié des groupes de combat de la ville sont présent sur ce théâtre d’opération et ils ont les nerfs, parce que tout á l’heure, un tank a tiré et a tué trois ados qui gardaient des moutons. Beaucoup les connaissaient personnellement, tous se sont passés le mot.

    Cette attente sera funeste aux gars parce que l’OTAN n’a pas vraiment bougé, mais l’ennemi a repris l’offensive. Sauf dans la katiba Albouz où tout arrêt des hostilités est irrecevable. L’OTAN fera quand même taire le canon et pas mal de katiouchas sauf ceux qui arrosent le port et qui tueront encore des réfugiés africains et quelques civils libyens.

    Les combats ont repris, et á Buroweia, près de Al Giran un vieux exhibe fièrement un Dragonov (fusil de tireur d’élite russe) pris á l’ennemi la nuit précédente dans une opération spéciale. Ils sont partis en petit groupe vers 3 heures du mat, sans faire de bruit. Ils ont tué deux ennemis, ont fait un prisonnier, un nigérien surpris dans son sommeil, et ont mis la main sur pas mal de matos, 2 caisses, 5 FN (fusil d’assaut de fabrication belge), 2 Dragonov et pleins de munitions pour les alimenter. Quand je raconte ça à mon pote de la katiba Albouz, il est jaloux, « moi aussi j’aimerais bien avoir un fusil comme ça. Il faut que je m’en trouve un. »

    Le vieux il n’en a pas l’air mais c’est un vrai dur. Lui n’a pas peur de la vengeance des kadafistes .

    « Prends ma photo, montre là á tout le monde. Je m’appelle Omar al Wakchi et personne ne me tuera. »

    https://setrouver.wordpress.com/2011/05/05/misrata-mes-copains-ma-maison-sous-les-bombes/
     
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